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Brésil : la religion s’invite à la Cour Suprême, Leonardo TRICOT SALDANHA, Docteur de l’Université Pontificale Catholique du Rio Grande do Sul, Doctorant en droit public à l’Université de Montpellier, CERCOP









Brésil : la religion s’invite à la Cour Suprême, 

Leonardo TRICOT SALDANHA[i],

Docteur de l’Université pontificale catholique du Rio Grande do Sul,

Doctorant en droit public à l’Université de Montpellier, CERCOP

​Le mandat du gouvernement Bolsonaro arrive bientôt à échéance. Si les élections de 2022 se déroulent dans le respect des lois, il est très peu probable qu’une réélection ait lieu. Mais, à l’image de Donald Trump aux États-Unis, le Président laissera un héritage durable : un jeune juge très religieux à la Cour Suprême Fédérale (STF).

​André Luiz de Almeida Mendonça a fait un parcours professionnel bien particulier. S’il est évidemment juriste et avocat, il est aussi théologien diplômé et pasteur presbytérien dans une église de Brasilia. Allié très proche de Jair Bolsonaro, il a été son ministre de la Justice du 29 avril 2020 au 29 mars 2021 puis, récemment, Avocat général de l’Union (AGU) du 30 mars au 6 août 2021. A ce titre, il fut l’avocat du recours contre les décrets locaux qui ont interdit, pendant la pandémie de COVID 19, l’ouverture des églises et des temples. Dans cette affaire, très médiatisée, Mendoça a sidéré le monde juridique brésilien en citant des versets de la Bible et en affirmant que « les chrétiens ne sont pas prêts à tuer pour leur foi, mais à mourir pour elle »[1]. L’affaire est pour le moins troublante dès lors qu’en sa qualité de défenseur des intérêts juridiques de l’Etat, Mendoça était censé représenter la nation brésilienne qui est constitutionnellement laïque. Or, lorsqu’il a eu, pour la deuxième fois, l’opportunité de proposer un juge à la Cour Suprême, Jair Bolsonaro a déclaré qu’il chercherait un juriste « terriblement évangélique »…

Le 13 juillet 2021, le choix s’est donc porté sur Mendonça, soutenu par un vaste groupe chrétien au Parlement. Un long combat politique s’est déclenché, l’opposition le considérant comme un fanatique. Mais le 1er décembre, le Sénat a validé son nom (quarante-sept voix en sa faveur et trente-deux contre). C’est aujourd’hui, le 16 décembre, que le juge prend ses fonctions à la Cour Suprême qu’il est réputé exercer pendant vingt-sept ans.

​Le fait d’avoir un juge avec de fortes convictions religieuses n’est pas un mal en soi. La république et la laïcité sont parfaitement compatibles avec la foi intime et personnelle de chacun comme l’a montré, en France, la présence au Conseil constitutionnel du catholique François Goguel qui, malgré ses convictions morales et philosophiques, a tenu à ne pas empêcher la Haute juridiction de valider la loi de dépénalisation de l’avortement. Mais le danger n’est jamais exclu : si le juge parvient à instrumentaliser sa fonction au service de ses convictions religieuses, l’espace de vie en commun menace alors de se rétrécir. Certes, nous ne pouvons pas être sûrs que Mendonça adoptera, comme juge, l’attitude qu’il avait observée quand il était Ministre de la Justice. Mais il faut malheureusement admettre que dans l’esprit de ses parrains que constituent respectivement le Président brésilien et la majorité sénatoriale, il a été désigné et élu à la Cour suprême dans cet objectif.

​Dans une perspective de critique institutionnelle, plusieurs éléments peuvent être soulevés. D’abord, il se pose la question de savoir si le juge d’une Cour Suprême ne devrait pas avoir un mandat limité. Faut-il en effet que la volonté d’un Président et d’une majorité parlementaire, au-delà même de l’exercice de leurs mandats respectifs, continue de déteindre sur la composition d’un Tribunal pendant plusieurs décennies ? Cette perspective n’est peut-être pas souhaitable, même si elle correspond exactement à l’intention des pères fondateurs quand ils ont pensé la Cour Suprême nord-américaine : une fonction à vie garantirait l’autonomie des juges et donnerait à la Cour les avantages de la continuité sachant qu’éventuellement, le candidat choisi par le Président peut toujours être rejeté par le Sénat s’il n’est pas digne de confiance.

​Aux Etats-Unis, la juge Amy Coney Barrett a été choisie par le Président Donald Trump à la fin de son mandat. Très catholique, elle s’était manifestée publiquement contre divers droits liés à la procréation – l’avortement notamment. Au Sénat, son nom a été approuvé par tous les sénateurs républicains (au nombre de cinquante-deux) et rejeté par tous les démocrates (quarante-huit), un score encore plus étroit que Mendonça au Brésil. Pourrions-nous dire que le Sénat a vraiment exercé son rôle de contre-pouvoir dans ces scrutins ? Il est difficile de le penser dès lors qu’il est fort improbable que tous les sénateurs républicains étaient d’accord avec Barrett. Leur attitude était tout simplement guidée par leur fidélité à Trump.

​La question d’envisager un mandat limité pour les juges des cours constitutionnelles est fondamentale. Mais il me semble que les nominations particulières de Mendonça au Brésil et de Barrett aux Etats-Unis nous renvoient à un phénomène bien plus effrayant encore. La nomination d’un juge « terriblement religieux », qui semble incapable de reléguer sa foi dans la sphère intime, constitue un affront. Une attaque contre les valeurs républicaines et libérales, une attaque contre la possibilité de bâtir un « vivre ensemble » et un espace pour tous.

[1] Journal « O Globo » du 7 avril 2021. ‘Religiosos estãodispostos a morrer': Sustentação oral de André Mendonça emjulgamento sobre abertura de igrejas provoca críticas nasredes, https://blogs.oglobo.globo.com/sonar-a-escuta-das-redes/post/religiosos-estao-dispostos-morrer-sustentacao-oral-de-andre-mendonca-em-julgamento-sobre-abertura-de-igrejas-provoca-criticas-nas-redes.html

[i] L’auteur remercie Augustin Berthout, Luc Reder, Barbara Miglioranza, pour la première lecture et Alexandre Viala, pour ses nombreuses suggestions accueillies.

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