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La Charte des droits de la Nature, travail réalisé par les étudiantes et étudiants du Master Théorie et pratique du droit constitutionnel, Faculté de droit et de science politique, Université de Montpellier, sous la direction de M. le Professeur Dominique ROUSSEAU, Université de Paris 1

 


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

6 mai 2023


PROPOSITION DE LOI

CONSTITUTIONNELLE

relative à la Charte des droits de la Nature


PRÉSENTÉE

PAR Mmes Mathilde CONOCAR, Isiane LAPOUGE, Charlène MABILEAU et MM. Guillaume GRANGEON, Simon JOFFRE-MÉRISSE

étudiantes et étudiants du Master Théorie et pratique du droit constitutionnel, Faculté de droit et science politique, Université de Montpellier

Les étudiantes et étudiants du Master Théorie et pratique du droit constitutionnel présentent la proposition de loi constitutionnelle dont la teneur suit :


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Héritière d’une conception cartésienne, la France n’a jamais abordé la question de la Nature dans son essence, pour ce qu’elle est et non pour ce que les humains en font. Le mythe cartésien de l’animal-machine et l’idée de Protagoras de « l’Homme comme mesure de toute chose » sont toujours présents dans l’inconscient collectif. Si le peuple français a enrichi sa Constitution de la Charte de l’environnement de 2004, cette Charte conserve une approche anthropocentrée en consacrant des droits et des devoirs aux humains. Le choix de la notion d’environnement en lieu et place de celle de Nature démontre que la protection de cet environnement est utile à l’Homme. Or, cette vision utilitariste de la Nature ne peut garantir sa pleine et entière préservation. Affirmer que l’environnement « est le patrimoine commun des êtres humains » traduit ce sentiment de propriété sur la Nature, sans doute inconsciemment. En effet, la faune et la flore sont complétement absentes de cette Charte. La Nature n’a de protection que celle qui préserve en outre les intérêts humains. Dès lors, cette conception semble insuffisante face à la destruction des écosystèmes, l’urgence climatique et la disparition de la biodiversité. En définitive, le constat est évident : les mesures prises jusqu’à ce jour sont inefficaces. Cette inefficacité se fonde sur l’anthropocentrisme, implicitement présent dans toutes les actions pour défendre l’environnement. Dès lors, il est nécessaire de changer de paradigme en prenant des mesures écocentrées.

Ce changement de paradigme ne doit pas être compris comme une opposition aux droits fondamentaux humains, mais comme un moyen de les pérenniser. Longtemps rejetée, la conciliation des droits humains avec les droits de la Nature semble aujourd’hui évidente. Défendre la thèse inverse serait contradictoire. En effet, les droits humains ne peuvent être garantis que dans un monde viable. De ce fait, si la Nature et ses composantes doivent voir leurs droits respectés, cela se justifie par la nécessité d’une harmonie entre Nature et humanité. Les droits de la Nature sont ceux qui lui permettent de prospérer, de se renouveler indépendamment des objectifs humains. Elle ne doit plus être perçue comme un moyen, mais (plutôt) comme une fin. Ainsi, cette révolution copernicienne aboutit à ne plus la considérer comme un objet de droit, mais tel un sujet de droit. Reconnaitre une personnalité juridique à la Nature assure à celle-ci le respect de ses droits et la prise en compte de ses besoins. En se fondant sur des moyens juridiques, les intérêts de la Nature et de ses composantes se trouvent à égalité avec les Hommes. Toutefois, cette reconnaissance connaît des limites évidentes. La première tient au fait que la Nature ne pouvant agir, elle doit être représentée par des humains ayant un biais anthropocentré indépassable. La seconde porte sur la nouveauté de cette prise de conscience démontrant la nécessité de protéger la Nature.

Toutefois, l’optimisme peut être maintenu puisque ces interrogations trouvent des réponses dans les mécanismes mis en place par la présente Charte. Effectivement, le réalisme et le pragmatisme sont de rigueur sur le fait que la prise de conscience est encore imparfaite et qu’elle doit être approfondie. Or, cette Charte permet d’accélérer ce processus. Certes, la Nature a besoin d’être représentée, mais la Charte se permet d’être audacieuse et novatrice. La représentation de la Nature se fait par une personne publique indépendante, sous la forme d’une autorité publique indépendante ou d’une entité sui generis. La forme choisie importe peu tant que les principes posés par le présent texte, sont réunis. Cette entité doit agir en vertu et pour la défense des intérêts de la Nature seulement. Elle peut ainsi s’opposer aux intérêts humains pour protéger les droits de cette dernière. Elle a, de ce fait, la capacité d’émettre des avis sur des projets ayant un impact sur la Nature, et de saisir le juge. Ces pouvoirs lui permettent de diffuser dans la société, les intérêts et les droits de la Nature, afin de développer l’approche écocentrée. Dès lors, le travail du juge comme du législateur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, est de concilier les Droits humains et les droits de la Nature. Il ne saurait y avoir de rupture avec la Charte de l’environnement, car elles n’assurent pas les droits aux mêmes sujets. En définitive, cette Charte marque le réveil du peuple français, coincé jusqu’alors dans un cauchemar anthropocentrique. Ce basculement écocentré ne dicte pas aux humains un changement précis de leur développement économique ; mais il garantit que peu importe les choix qu’ils feront, la Nature aura son mot à dire.


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

Le premier alinéa du Préambule de la Constitution est complété par les mots suivants :

« et dans la Charte des droits de la Nature de 2023. »


Article 2

La Charte des droits de la Nature de 2023 est ainsi rédigée :


« La Nation française, « Consciente :

« Que la Nature entendue comme l’ensemble de la réalité matérielle considérée comme indépendante de l'activité et de l'histoire humaine, ses composantes sont : les milieux terrestres, aquatiques et aériens, ainsi que les écosystèmes, la faune et la flore présents en ces lieux préservés de la civilisation humaine ;

« Que la Nature et ses composantes ont une valeur qui tient de leur existence, indépendamment de leurs bénéfices et de leur utilité estimés par les êtres humains ;

« Que les êtres humains sont une composante de la Nature, ils n’ont pas de place privilégiée par rapport aux autres entités naturelles ;

« Que les intérêts humains sont liés par essence à ceux de la Nature, les droits et intérêts des humains n’ont de sens que dans la volonté de préserver les droits de la Nature ; que les activités humaines doivent être conciliées avec la Nature pour une préservation de l’harmonie ;

« Que la conception anthropocentrée nuit à la Nature, cette Charte s’inscrit dans une conception biocentrée.

« Reconnaît comme étant constitutionnels les droits suivants :

« Article 1er : La Nature a le droit au respect de son cycle de régénération, de restauration et de sa biocapacité.

« Article 2 : La Nature a le droit à la conservation des écosystèmes dans des conditions saines et équilibrées.

« Article 3 : La Nature a le droit à la préservation de l’intégrité des habitats naturels. Ils doivent être protégés de la dégradation et de la pollution humaine.

« Article 4 : La Nature a le droit de bénéficier d’une intervention humaine mesurée afin d’assurer sa préservation et les droits qui lui sont reconnus.

« L’intervention humaine se doit d’être en conformité avec le cycle naturel. La protection de la Nature par l’ingérence humaine ne doit pas mener à une dénaturation du cycle naturel. Elle est nécessaire pour compenser les actions humaines nuisibles à la Nature, mais elle ne doit pas pour autant mettre sous tutelle la Nature.

« Article 5 : Chaque animal a le droit de mener une existence dans le respect de son bien-être selon les spécificités de son espèce et de son individualité.

« Article 6 : Les forêts, la flore, la faune et les grands ensembles végétaux ont le droit à la conservation d’un espace minimal.

« Article 7 : Tous les milieux naturels aquatiques ont le droit d’être protégés de l’assèchement et de la pollution provoquée par l’activité humaine.

« Article 8 : Les paysages naturels ont le droit de ne pas être dénaturés par l’activité humaine.

« Article 9 : La Nature détient la personnalité juridique.

« Article 10 : La Nature est représentée par le Défenseur Intermédiaire des Animaux, de la Nature et de l’Environnement (DIANE) afin de lui permettre d’exercer ses droits découlant de la personnalité juridique.

« Article 11 : Le Défenseur Intermédiaire des Animaux, de la Nature et de l’Environnement assure, avec indépendance et impartialité, la protection des droits de la Nature et de ses composantes. Cette protection prend la forme d’un avis obligatoire public sur tout projet public ou privé de construction, de destruction ou de production impactant la Nature.

« Cette entité peut saisir l’autorité judiciaire. L’autorité judiciaire est seule compétente pour régler les litiges portant sur la prévention ou la contestation des projets susceptibles de porter atteinte aux droits protégés par la présente Charte, indépendamment du fait que le litige ait été soulevé à l’encontre d’une personne privée ou publique.

« Article 11-1 : Toute personne peut soulever un moyen portant sur la violation des droits de la Nature dans toutes procédures, devant toutes juridictions. Toutefois, ce moyen ne peut donner lieu qu’à des dommages-intérêts reversés au Défenseur.

« Article 12 : Le Défenseur Intermédiaire des Animaux, de la Nature et de l’Environnement est composé de membres représentant la mixité de la société, ayant une compétence suffisante en la matière, un pluralisme de la conception de la Nature et un attachement aux droits cités dans la Charte.

« Il est composé de 11 membres pour un mandat de 6 ans non renouvelable, accompagné d’un personnel administratif et juridique suffisant pour garantir l’exercice effectif de ses missions. Les membres sont choisis parmi des agriculteurs, des membres d’associations en lien avec la protection de la Nature, des scientifiques spécialisés dans le domaine ainsi que toute personne ayant une motivation conforme à l’esprit de cette Charte.

« Les modalités de création de DIANE et ses règles de fonctionnement sont fixées par loi organique.

« Article 12-1 : La loi organique prévoit de mettre en place un comité d’experts indépendants pour examiner les candidatures au jour de la création du Défenseur ainsi qu’à chaque renouvellement. Le comité d’experts, à la suite de l’examen des candidatures au regard des conditions de l’article 12, désigne les membres composant le Défenseur ainsi institué.

« Article 13 : Le financement doit permettre une autonomie totale au Défenseur.

« Article 14 : Rien dans cette Charte ne limite la reconnaissance d’autres droits de la Nature ou ses composantes.

Fait à Montpellier, le 6 mai 2023.

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