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"Vers une nouvelle formule pour le référendum d’initiative partagée ?", Eric SALES, Maître de conférences, HDR, Faculté de droit de l’Université de Montpellier, Cercop














"Vers une nouvelle formule pour le référendum d’initiative partagée ?",  

Eric SALES, Maître de conférences, HDR, Faculté de droit de l’Université de Montpellier,  Cercop

Résumé : Après une seule mise en oeuvre depuis sa création, le référendum d'initiative partagée fait l'objet de différentes propositions de réaménagement de la part des institutions de la République alors que les citoyens n'hésitent pas à le faire vivre dans sa forme actuelle.

Le référendum d’intiative partagée (RIP) est né de la réforme constitutionnelle de 2008[1] utilement complétée en la matière par une loi organique de 2013[2]. Alors que chacun s’accordait à n’y voir qu’une simple curiosité constitutionnelle difficile à mettre en oeuvre, le premier RIP de la Vème République a vu le jour en avril 2019 au moment de la délibération parlementaire de la loi PACTE avant de s’éteindre assez rapidement faute d’avoir pu recueillir le nombre suffisant de signatures citoyennes. Il est vrai que la procédure est longue et complexe. 

Pour mémoire, la proposition de loi référendaire, dans ce cadre, doit être déposée par 185 parlementaires sur le bureau de l’une ou l’autre des assemblées. A ce premier stade, le Président de l’assemblée concernée doit saisir la Conseil constitutionnel car un contrôle obligatoire de constitutionnalité préventif est organisé par la Constitution. Si les juges constitutionnels déclarent le texte constitutionnel, ils indiquent précisément dans leur décision le nombre de signatures citoyennes requises pour la poursuite du processus dans la mesure où la réglementation exige le soutien de 10 % du corps électoral, soit précisément 4 717 396 signatures de citoyens dans cette expérience[3]. La technique a ainsi été pensée pour permettre notamment à l’opposition politique de confectionner un texte législatif avec l’aval d’une partie non négligeable du peuple afin de le soumettre au référendum. 

A la suite de la décision des juges constitutionnels s’ouvre une période de 9 mois pendant laquelle le ministère de l’intérieur organise, sous la surveillance du Conseil constitutionnel, le recueil des signatures des citoyens dont le total doit être contrôlé à l’échéance par la même institution. Si les juges constitutionnels déclarent que la proposition de loi a bien réuni les signatures requises, la procédure se poursuit. Dans la première hypothèse, si le Parlement garde le silence pendant 6 mois, le Président de la République organise le référendum. Dans la deuxième, si le Parlement décide de se saisir de la proposition de loi pour en discuter, il est tout à fait possible pour lui de la modifier voire de l’abandonner. Ici, le dispositif a été largement critiqué car il donne aux parlementaires de la majorité le pouvoir de changer un texte qui a recueilli un nombre conséquent de signatures citoyennes qui n’auraient pas forcément été données au soutien du texte remanié[4]. En outre, l’abandon pur et simple du texte par la majorité politique du moment est un moyen radical pour anéantir les initiatives démocratiques de l’opposition permises par la technique nouvelle du RIP[5]. A lui seul, ce dernier volet mériterait bien une réforme ainsi que le mentionne le Conseil dans sa décision du 18 juin 2020[6]Toutefois, à la suite du RIP visant à faire reconnaître les aérodromes de Paris comme un service public national, ce sont d’autres évolutions qui ont été envisagées par le projet de loi constitutionnelle du mois d’août 2019 (II), par le Conseil constitutionnel dans sa décision de juin 2020 (II) et par des initiatives citoyennes du moment (III).

 

I – Les changements imaginés par le projet de loi constitutionnelle d’août 2019 


Le projet de loi constitutionnelle déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale en août 2019[7] prévoit, dans le cadre de la création d’un titre de la Constitution consacré à la participation citoyenne (titre X), de nouvelles règles encadrant le RIP (article 69) pour faciliter son déclenchement tout en limitant sa portée. 

Dans le premier cas, un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa de l’article 11 pourra être organisé à l’initiative d’un dixième des membres du Parlement et d’un million d’électeurs inscrits sur les listes électorales. L’opposition politique serait donc en mesure de faire vivre plus qu’avant cette procédure avec un seuil de soutien citoyen fixe et plus facile à réunir que dans l’actuel système. 

Toutefois, pour éviter que le RIP ne soit instrumentalisé pour contrecarrer systématiquement la concrétisation législative de la politique présidentielle de la Nation et pour remédier au premier usage du genre avec une proposition de loi référendaire déposée en même temps que l’examen de la loi PACTE mais en poursuivent des objectifs opposés, le projet de loi constitutionnelle précise que le RIP « ne peut ni avoir pour effet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins de trois ans, ni porter sur le même objet qu’une disposition introduite au cours de la législature et en cours d’examen au Parlement ou définitivement adoptée par ce dernier et non encore promulguée ». D’un autre côté, avec un certain parallélisme des contraintes, le nouvel article 69 prévoit « qu’aucune disposition ayant un objet contraire à la loi référendaire promulguée ne peut être adoptée par le Parlement au cours de la même législature ». En d’autres termes, mais avec une limite de temps moins importante, la majorité politique du moment ne peut immédiatement défaire la loi votée par le peuple. 

Enfin, le contrôle obligatoire de la constitutionnalité des propositions de texte de loi, mentionnées cette fois-ci à l’article 69, est toujours organisé. Il eut été sans doute intéressant de généraliser le contrôle préventif obligatoire de constitutionnalité à l’ensemble des référendums ne serait-ce que pour éviter les dérives du passé liées à une mauvaise utilisation de l’article 11 et pour traiter de façon égale toutes les procédures référendaires. Le limiter au seul référendum d’initiative partagée donne seulement à croire à un potentiel danger de l’intervention de l’opposition politique.

II - Les propositions du Conseil constitutionnel formulées dans sa décision de juin 2020

 

Tout d’abord, le Conseil constitutionnel a déjà contribué, dans la pratique, à l’amélioration du système du RIP dès 2019. Ainsi l’absence critiquée[8] d’un compteur public officiel permettant de recenser régulièment les soutiens des citoyens en la matière a été compensée par une mise à jour quotidienne réalisée par des communiqués de presse du Conseil constitutionnel tous les 15 jours entre juillet 2019 et mars 2020. 

Par ailleurs, dans sa décision précitée du 18 juin 2020, le Conseil a émis des observations par le biais desquelles – comme il l’a déjà fait en matière électorale[9] – il suggère des modifications de la réglementation en vigueur en développant une participation indirecte au processus de fabrication de certaines lois alors qu’il ne détient aucun véritable pouvoir en matière d’initiative législative. L’organe de contrôle se transforme donc parfois, de façon assez inédite, en organe de proposition. A titre principal, trois propositions peuvent être soulignées dont certaines se situent dans la continuité du projet de loi constitutionnelle précité. La première pointe du doigt une procédure « dissuasive et peu lisible pour les citoyens » qui pourraient être surpris de constater – en cas de succès de la phase de soutien – que « la tenue d'un référendum n'est qu'hypothétique » car un examen final de la proposition de loi par le Parlement peut suffire pour écarter tout recours au peuple. Implicitement, le Conseil suggère ici de supprimer le contrôle parlementaire actuellement prévu en fin de processus. La deuxième – prenant appui sur l’exemple du RIP sur les aérodromes de Paris dont le but était clairement de faire échec à leur privatisation prévue par la loi PACTE en cours d’examen au Parlement au moment du dépôt de la proposition de loi référendaire – préconise de réfléchir à l’articulation « entre l'initiative parlementaire faisant l'objet de la mise en œuvre de la procédure et d'éventuels travaux législatifs ayant le même objet ». Toujours implicitement, il est assez facile de comprendre qu’il faudrait interdire le dépôt d’une proposition de loi dans le cadre d’un RIP ayant le même objet qu’une loi en cours de discussion parlementaire. Enfin, est souligné le silence de la réglementation en ce qui concerne « l’organisation d’un débat public ou d'une campagne d'information audiovisuelle sur une proposition de loi déposée en application de l'article 11 de la Constitution, ce qui a pu susciter insatisfactions et incompréhensions ». Toutefois, ici, le Conseil a déjà trouvé la solution car, en rejetant une réclamation lui demandant d'adopter des recommandations afin d'améliorer l'information des électeurs sur l'opération de recueil des soutiens, il a précisé qu’il « revient aux sociétés de l'audiovisuel, public comme privé, de définir elles-mêmes, dans le respect de la loi du 30 septembre 1986 et sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, les modalités d'information des citoyens sur le recueil des soutiens à la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris »[10]

Pour terminer, il est intéressant de constater que le Conseil n’a pas relevé de problèmes majeurs à propos du mode de recueil des signatures des citoyens lequel a été réalisé par le biais du numérique via une plateforme mise en place à cet effet par le ministère de l’intérieur. Ce processus électronique, n’ayant rencontré que de très faibles tentatives d’usurpation d’identité et ayant permis de déjouer des piratages en ligne, offre sans doute des pistes de réflexions à celles et ceux qui s’interrogent sur la question de la remise en service du vote par correspondance [11]. Néanmoins, comme la loi organique de 2013 assimile le soutien à une proposition de loi à la simple signature d’une pétition et non à l’expression d’un suffrage, les enjeux ne sont certainement pas les mêmes. Il serait toutefois bon de mener un travail sur la question sensible de la publicité de la liste des soutiens car, si cela vise à en garantir l’authenticité, cet aspect a peut-être nourri la méfiance de certains électeurs qui n’ont pas participé afin d’éviter un affichage public de leurs opinions politiques.

 

III – Les solutions citoyennes innovantes en cours
 
Pour l’heure, certains citoyens n’ont pas attendu les changements annoncés pour agir en s’octroyant un droit d’initiative en matière référendaire. Le « référendum animaux », récemment lancé sur internet en 2020[12] sans aucun fondement juridique, offre par exemple des perspectives intéressantes. L’idée est en effet d’agir en amont en demandant aux citoyens de s’engager à participer à un futur RIP et donc d’apporter leur soutien à une proposition de loi à venir déjà rédigée par les porteurs de cette initiative et qui devra être déposée par les parlementaires. 

En outre, cette démarche tente de convaincre les représentants de la Nation en les invitant à accompagner favorablement une proposition de loi “clés en main” tout en incitant les citoyens intéressés à agir auprès de leurs parlementaires pour les mobiliser. L’objectif de la démarche est ainsi d’inverser le processus du RIP en faisant pression sur les députés et les sénateurs tout en prenant le temps de la diffusion de l’information auprès des citoyens pour tenter de totaliser, avant même le lancement officiel de la procédure, le nombre de signatures requis.




 

[1] V. la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, JORF n° 0171 du 24 juillet 2008.
[2] Loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l'article 11 de la Constitution, JORF n° 0284 du 7 décembre 2013.
[3] 
CC, n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, JORF, n° 0112 du 15 mai 2019, texte n° 65.
[4] 
CC, n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013, JORF du 7 décembre 2013, p. 19955.
[5] Pour une étude d’ensemble, v. M. Haulbert, « Le référendum d'initiative « partagée » : représentants versus représentés ? », RDP 2014, n° 6, p. 1639 et s.
[6] CC, n° 2019-1-9 RIP ELEC, du 18 juin 2020, JORF n° 0156 du 25 juin 2020, texte n° 98.

[7] Projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique, n° 2203 déposé le 29 août 2019 et renvoyé à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
[8] V. CC, n° 2019-1-1 RIP, du 10 septembre 2019, M. Paul C.
[9] Par exemple, à la suite des élections présidentielles de 1974, « il a invité le Gouvernement à faire modifier le régime de la présentation des candidats et à prévoir l'hypothèse du décès d'un candidat. Ses recommandations ont ainsi conduit à la modification de la loi organique relative à l'élection du Président de la République et à la révision, le 18 juin 1976, de l'article 7 de la Constitution. Dans ses observations sur l'élection présidentielle de 2002, le Conseil suggère au législateur « la création du délit d'entrave à l'action des délégués du conseil, compte tenu des obstacles parfois opposés à l'exercice de leur mission de contrôle des bureaux de vote», solution qui sera retenue par la loi organique du 5 avril 2006 ». En ce sens, V. A. Roux, « Une analyse comparative des organes en charge du contrôle électoral, en particulier les organes judiciaires – Le cas français », in Commission de Venise, Séminaire UNIDEM, « Le contrôle du processus électoral », Madrid, 23-25 avril 2009.
[10] CC, n° 2019-1-2 RIP du 15 octobre 2019, M. Christian S. et autres.
[11] J-P. Camby et J-E. Scoettl, « Faut-il rétablir le vote par correspondance ? », https://blog.leclubdesjuristes.com/faut-il-retablir-le-vote-par-correspondance/ ; B. Daugeron, « Vote par correspondance, adaptation pragmatique ou risque inconsidéré ? », http://blog.juspoliticum.com/2020/12/19Vote-par-correspondance-adaptation-pragmatique-ou-risque- inconsidéré-par-Bruno-Daugeron/
[12] 
V. https://referendumpourlesanimaux.fr/
 
 
 

 

 
 
 

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