Accéder au contenu principal

La condamnation sans appel des dérives autoritaires du président K. Saïed par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Mustapha AFROUKH, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Montpellier (IDEDH, UR_UM205)

 


La condamnation sans appel des dérives autoritaires du président K. Saïed par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples 

Mustapha AFROUKH, Maître de conférences HDR en droit public,

Université de Montpellier

(IDEDH, UR_UM205)

On le sait, depuis le 25 juillet 2021, date à laquelle le chef d’Etat Kaïs Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs en s’appuyant sur l’article 80 de la Constitution (dont la rédaction est proche de l’article 16 de la Constitution française), le régime tunisien a pris un virage résolument autoritaire. Un Parlement qui ne siège plus ; une levée de l’immunité des parlementaires ; une mise sous tutelle du pouvoir judiciaire ; une révocation de magistrats par décret présidentiel excluant tout recours juridictionnel, on ne compte plus les coups de canifs portés au principe de séparation des pouvoirs et aux valeurs de l’Etat de droit au nom des circonstances exceptionnelles. En l’absence de mise en place de la Cour constitutionnelle prévue par la Constitution du 17 janvier 2014, le Président tunisien a imposé son interprétation de la Constitution, considérée comme la seule interprétation authentique. Dans une démocratie constitutionnelle, il existe une pluralité d'interprètes de la Constitution qui permet une discussion ouverte de son sens. Rien de tel depuis le 25 juillet 2021. Et, le moins que l’on puisse dire est que le constitutionnaliste est soumis à rude épreuve : K. Saïed est allé jusqu’à inverser la hiérarchie des normes avec un décret présidentiel n° 2021-117 du 22 septembre 2021, qui déclasse la Constitution au rang d’acte infra-décrétal. Le respect des règles a laissé place à l'arbitraire, au caprice et bon plaisir d’un chef de l’Etat obnubilé par la volonté d’en découdre avec la Constitution de 2014 (adoptée après la « Révolution du jasmin »), jugée responsable de la faillite d’un système politique gangrené par les luttes de pouvoir, la corruption et les conflits d’intérêts, tandis que le pays plonge dans une crise économique et sociale sans précédent. A bien y regarder cependant, la faillite était plus due à des comportements individuels et partisans qu’à des carences institutionnelles. Soulignons que cette légalité d’exception a reçu le soutien d’une large partie de la population tunisienne excédée par les agissements du parti islamiste « Nahdha » qui n’a eu de cesse ces dernières années d’étendre son influence sur l’appareil d’Etat. Le point culminant de ce processus a été l’adoption le 25 juillet 2022 par le peuple tunisien d’une nouvelle Constitution aux allures très présidentialiste et sans réels contre-pouvoirs, adoption cependant marquée par un taux de participation très faible. Son contenu est très loin des revendications exprimées lors la révolution en 2011. Il suffit de citer l’article 5 qui ouvre ainsi la porte à la prise en compte des objectifs ultimes de l’islam vrai (maqâsid al islâm al hanîf ) et qui confie à l’État seul leur mise en application.

En attendant les prochaines élections législatives, le Président continue de légiférer par décrets-lois : le 15 septembre une loi excluant de facto les partis politiques des prochaines échéances électorales (ils peuvent présenter des candidats mais il leur est interdit de financer les campagnes électorales) ; le 16 septembre un décret-loi visant officiellement à lutter contre la cybercriminalité a été publié, et punit de cinq ans de prison et 50 000 dinars d’amende (15 600 euros) toute personne qui « utilise délibérément les réseaux de communication et les systèmes d’information pour produire, promouvoir, publier ou envoyer des fausses informations ou des rumeurs mensongères ». La liberté d’expression, pilier de la démocratie, est ainsi directement menacée. Les mécanismes de contrepouvoirs sont progressivement remis en cause, ce qui confirme la dérive populiste du régime.

Ce qui se joue en Tunisie n’est sans rappeler la grande querelle entre normativisme et décisionnisme. Le juriste allemand Carl Schmitt, adversaire du normativisme de Hans Kelsen, serait admiratif de ce positionnement du Président tunisien qui privilégie l’efficacité de l’action politique sur le respect du droit[1]. La supériorité du politique sur l’emprise du droit est d’ailleurs l’un des arguments le plus souvent avancés pour justifier l’action du chef de l’Etat. Pour beaucoup, les agissements du Parti « Nahdha » avaient fini par mettre en péril la survie des institutions républicaines : seule une décision forte justifiée par l’exception permettait « de sauver la Tunisie, l'État et le peuple tunisien » selon les propres termes du Président tunisien. Celui-ci a habilement joué du syndrome du réverbère en mettant la lumière sur les dangers représentés par le parti islamiste pour mieux faire oublier le reste, à savoir le respect des règles démocratiques.

Dans ce contexte de « déconsolidation démocratique » (L. Burgorgue-Larsen), des juges ont su faire preuve de courage et faire prévaloir les exigences de l’Etat de droit et du respect des droits fondamentaux. Le tribunal administratif a suspendu le 10 août la révocation de 49 magistrats qui avait été décidée par le président Kaïs Saïed. Surtout, dans un arrêt rendu Ibrahim Ben Mohamed Ben Ibrahim Belguith c. Tunisie du 22 septembre 2022, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, organe judiciaire de l’Union africaine, pointe du doigt l’inconventionnalité de nombreuses mesures exceptionnelles prises par le Président tunisien depuis le 25 juillet 2021, en particulier les décrets présidentiels gelant les travaux de l’Assemblée des Représentants du Peuple ainsi que l’impossibilité de les contester devant la Cour constitutionnelle, prévue par la Constitution de 2014 qui n’a jamais été mise en place en raison de désaccords parlementaires sur la question de sa composition. La requête a été présentée par un ressortissant tunisien, avocat qui alléguait que les nombreux décrets présidentiels pris depuis le 16 juillet 2021 méconnaissaient plusieurs dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. C’est le premier arrêt rendu au fond contre la Tunisie. Celle-ci fait bien partie des premiers Etats à avoir signé le protocole portant création de la Cour africaine (1998), adopté à Ouagadougou. Mais il faudra attendre le 21 août 2007 pour qu'elle ratifie ce protocole et le 2 juin 2017 pour qu'elle dépose la déclaration reconnaissant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes introduites directement par des ONG et des individus (art. 34(6) du Protocole).

La condamnation est sans appel. Reste à savoir comment les autorités tunisiennes vont réagir. Dans le contexte actuel, il ne serait pas étonnant que la Tunisie, à l’instar d’autres Etats, retire sa déclaration permettant l’accès direct des individus et ONG à la Cour africaine. Pour comprendre la solution de l’arrêt Ibrahim Ben Mohamed Ben Ibrahim Belguith c. Tunisie, il faut dire brièvement un mot de l’attitude la Tunisie qui a développé une argumentation arc-boutée sur le concept de souveraineté (I) avant de montrer que l’absence de la mise en place de la Cour constitutionnelle explique en grande partie l’office constitutionnel retenu par la Cour d’Arusha (II). Pouvait-il en être autrement ? Dès lors que la mise en place cette Cour a sans cesse a été repoussée aux calendes grecques.

I - Le rejet d’une argumentation passéiste arc-boutée sur la défense de la souveraineté nationale

La stratégie argumentative du gouvernement tunisien devant la Cour africaine ne laisse pas d’étonner.

L’assujettissement de l’Etat aux normes internationales protectrices des droits de l’homme n’est que le résultat d’un consentement souverain de se soumettre lui-même à un contrôle externe. La Tunisie a accepté de reconnaître la compétence de la Cour africaine pour recevoir des requêtes introduites directement par des ONG et des individus (art. 34(6) du Protocole). Elle a ce faisant consenti à l’exercice d’un contrôle international sur le respect des droits et libertés garantis par la Charte africaine ainsi « que tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme » qu’elle a ratifié. Or, il est piquant de constater que l’argument de l’atteinte à la souveraineté nationale est au cœur de la défense du gouvernement tunisien dans plusieurs affaires introduites devant la Cour africaine. Tout se passe comme si le gouvernement tunisien n’avait pas mesuré les conséquences de sa reconnaissance de la compétence de la Cour. Déjà dans une affaire Ali Ben Hassen c. Tunisie ayant donné lieu à une décision d’irrecevabilité le 25 juin 2021, le gouvernement opposait une exception d’irrecevabilité tenant à ce que la requête, contestant un décret de convocation du Conseil supérieur de la magistrature, portait atteinte à la souveraineté : « Il affirme (…) que les relations internationales sont fondées sur le « principe de  souveraineté » selon lequel l'État a pleine autorité sur son territoire et exerce le  pouvoir suprême sur ses institutions et le choix de ses options politiques,  juridiques, économiques et sociales ainsi que sur la gestion de ses relations  extérieures, sans être soumis à une quelconque autre autorité supérieure ». Et le gouvernement de mettre l’accent sur le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures. C’est ici que le ridicule vire au grotesque car, une telle affirmation heurte l’histoire et la logique du droit international des droits de l’homme qui s’est construit sur cette idée fondamentale que les droits de l’homme doivent l’emporter sur les droits de l’État souverain. C’est en réaction aux mots de Goebbels devant la Société des Nations déclarant que : « Messieurs, Charbonnier est maître chez lui. Nous sommes un État souverain et tout ce que dit cet individu ne vous regarde pas. Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes, de nos pacifistes, de nos juifs et nous n’avons à subir de contrôle, ni de l’humanité, ni de la Société des Nations » et des nombreuses atrocités commises par le régime nazi que R. Cassin écrivit en 1947 « il faut en tout cas que le droit de regard de l’humanité sur les rapports de l’État et de l’individu soit affirmé ».

L’attitude du gouvernement tunisien est d’autant plus déplorable qu’elle se répète à l’occasion de chaque affaire. L’atteinte à la souveraineté revient comme un leitmotiv. C’est ce dont témoigne encore l’affaire Ibrahim Ben Mohamed Ben Ibrahim Belguith. Il faut dire que la Cour d’Arusha n’a pas eu à faire preuve de beaucoup d’imagination pour rejeter d’un revers de main cette exception d’irrecevabilité, la jurisprudence internationale étant très riche. S’inscrivant dans le sillage d’un célèbre arrêt Wimbledon rendu en 1923 par la Cour permanente de justice internationale, la Cour « fait observer que les règles du droit international, y compris les dispositions du Protocole dont elle tire sa compétence, découlent des engagements consensuels des États. En général, les États ne sont pas liés par des règles auxquelles ils n’ont pas consenti, ce qui constitue l’une des plus hautes manifestations de leur souveraineté. Néanmoins, une fois qu’ils ont donné leur consentement, ils ne peuvent pas invoquer l’exception de souveraineté pour contourner ou limiter l’obligation découlant d’une règle à laquelle ils ont volontairement accepté d’être liés ». S’agissant du principe de non-ingérence, il ne peut être retenu dans la mesure où son application reviendrait à écarter la compétence de la Cour. Bref, à la raison d’Etat, la Cour oppose sa compétence pour connaitre de toute violation d’un ou plusieurs des droits protégés par la Charte ou tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par l’Etat défendeur.

La focalisation du gouvernent tunisien sur les principes de souveraineté et de non-ingérence dans les affaires intérieures n’augure rien de bon s’agissant des suites qui seront données à l’arrêt de la Cour. Ainsi que l’a écrit le Professeur Burgorgue-Larsen c’est bien « le dogme de la non-ingérence dans les affaires intérieures (qui) fut l’argument politique avancé par les gouvernements de Paul Kagamé (Rwanda), John Magufuli (Tanzanie), Patrice Talon (Bénin) et Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) pour décider de retirer leur déclaration d’acceptation de juridiction de la Cour africaine, respectivement en 2013, en 2019 et en 2020 ».

Autant il est aisé de comprendre l’argumentation d’un Etat appelant l’organe de contrôle à assouplir son contrôle sur des questions constitutionnelles – cela est d’ailleurs fréquent – autant l’invocation du principe de non-ingérence pour exclure sa compétence nous paraît hors de propos.

II - La coloration constitutionnelle de l’office de la Cour africaine dictée par l’absence d’une Cour constitutionnelle 

Dès l’examen de l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes, la Cour relève que les décrets contestés, qui ont valeur législative, ne pouvaient pas faire l’objet d’un recours en annulation devant les juridictions administratives, ce qui est discutable car les décrets présidentiels n’ont pas inconditionnellement valeur législative. Seul un recours devant une juridiction constitutionnelle, chargée de contrôler la constitutionnalité des lois, était envisageable. Mais cette Cour, prévue par la Constitution de 2014, n’existe pas en Tunisie. De sorte qu’aucune voie de droit ne permettait de contester les décrets présidentiels. In specie, le respect de la règle de l’épuisement des voies de recours internes est ainsi écarté. Opposé au gouvernement sur les questions de recevabilité, ce vide dans le système judiciaire va également être un élément important du raisonnement de la Cour sur le fond. En ce qui concerne l’allégation d’une violation de l’article 7 de la Charte africaine qui protège le droit à ce que sa cause soit entendue, la Cour réitère l’absence problématique d’une « juridiction ou autorité susceptible de statuer sur les litiges constitutionnels relatifs aux compétences du Président ». Le droit de saisir les autorités judiciaires compétentes, qui est au cœur de l’article 7, se trouve en effet ici réduit à néant.

S’agissant des allégations de violation du droit à l’autodétermination et du droit de participer à la direction des affaires publiques, droits garantis par les articles 13 et 20 de la Charte, la Cour, dans la droite ligne d’une jurisprudence constante, estime que ces droits ne sont pas absolus. Leur exercice peut être restreint pour des raisons de sécurité et en respectant certaines exigences, comme le principe de proportionnalité. Rien de bien nouveau ici si ce n’est qu’en l’absence de clause de dérogation dans la charte africaine la Cour se place sur le terrain des restrictions aux droits pour appréhender des situations exceptionnelles. Citant expressément l’article 80 de la Constitution tunisienne, elle opère alors un véritable contrôle de constitutionnalité, ce qui n’est pas du tout rare dans le contentieux international des droits de l’homme, consistant à vérifier si le recours à l’état d’exception décidé par le chef de l’Etat le 25 juillet 2021 était justifié au sens de cette disposition. Imaginons la Cour européenne vérifier si les conditions du recours à l’article 16 de la Constitution française sont réunies[2] ! La conclusion est non-équivoque : le Président tunisien a méconnu tant les conditions de fond (faire face à un « péril imminent » menaçant « les institutions de la nation ou l’indépendance sécuritaire du pays », et entravant « le fonctionnement normal de l’État ») que les conditions de forme (consultation du 1er ministre, du Président de l’Assemblée des représentants du peuple ; obligation d’informer le président de la Cour constitutionnelle). En procédant ainsi, la Cour africaine donne raison à ceux qui avaient évoqué en juillet 2021 un coup d’Etat contre la Constitution (Y. Ben Achour) en soulignant que les conditions prévues par l’article 80 n’étaient pas réunies. La Cour d’Arusha vient ainsi au soutien de la Constitution tunisienne. En l’absence de Cour constitutionnelle seule apte à exercer un contrôle de constitutionnalité, elle s’érige en gardien de la Constitution tunisienne.

Le contrôle de conventionnalité est hybride : il a une coloration concrète et abstraite. Concrète car la Cour ne remet pas en cause le principe d’un état d’exception mais la manière dont le Président a activé l’article 80 de la Constitution. En ce sens, l’arrêt précise bien que le Président pouvait, avant d’utiliser l’arme ultime de l’article 80, recourir à des mesures moins restrictives pour faire face à un conflit entre les différents organes de l’Etat. La suspension des travaux du Parlement est considérée comme une mesure disproportionnée. Abstraite dans la mesure où les décrets présidentiels adoptés à la suite de cet usage disproportionné de l’article 80 de la Constitution sont en soi inconventionnels. Le fait que ces décrets n’aient donné lieu à aucun contrôle est un facteur aggravant. Sur le contrôle des conditions d’application de l’article 80 de la Constitution, l 'arrêt peut susciter des réserves. Les affirmations de la Cour résultent plus d'une pétition de principe empruntant à l'argument d'autorité, que d’une démonstration précise. Sur des questions aussi sensibles relevant du domaine constitutionnel, une entreprise de persuasion était nécessaire.

Ce caractère objectif du contrôle permet incidemment à la Cour d’imposer à l’Etat une modification de son droit interne afin de le mettre en conformité avec la Charte africaine. Une telle pratique est courante dans les autres systèmes régionaux, en particulier dans le système interaméricain où les Etats se sont engagés à adopter toutes les mesures nécessaires pour donner effet aux droits garantis (art. 2 de la CADH). L’article 27 § 1 du Protocole portant création de la Cour africaine indique que « lorsqu'elle estime qu'il y a eu violation d'un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d'une juste compensation ou l'octroi d'une réparation ». En l’occurrence, la Cour enjoint au gouvernement tunisien d’abroger les décrets présidentiels litigieux et de rendre opérationnelle la Cour constitutionnelle dans un délai de 2 ans. Le hasard du calendrier fait que cet arrêt de la Cour intervient au moment même où le Président tunisien prépare le terrain en vue des prochaines élections législatives. C’est toute sa stratégie initiée depuis le 25 juillet 2021 qui est mise en cause.

Revêtu de l’autorité de la chose jugée (art. 30 Protocole préc.), l’arrêt s’impose à la Tunisie qui doit l’exécuter. Il est cependant fort probable que le gouvernement tunisien fasse la sourde oreille : toute critique internationale des mesures prises par le Président étant vue ces derniers mois comme une atteinte à la souveraineté. L’expulsion manu militari des membres de la Commission de Venise (mai 2022) qui venait de rendre un avis critique sur les modalités d’organisation du référendum sur l'amendement de la Constitution, en constitue un exemple éloquent. Alors certes, la mise en place de la Cour constitutionnelle (issue de la nouvelle constitution) a été annoncée par le Président en août 2022 mais on peut s’attendre à ce qu’il tente d’influer sur la composition de cette nouvelle instance, à l’instar de ce que l’on a connu récemment en Turquie et en Pologne. Quoi qu’il en soit, même si l’arrêt Ibrahim Ben Mohamed Ben Ibrahim Belguith c. Tunisie du 22 septembre 2022 reste un arrêt platonique rendu pour l’honneur des principes, la Cour africaine a pris ses responsabilités et assumé son rôle de gardien des droits et libertés garantis par la Charte africaine. L’on parle beaucoup ces dernières années d’une crise de l’Etat de droit sur le continent européen. Mais les juges européens ne sont pas les seuls à être confrontés à des démocraties illibérales assumant clairement la négation des valeurs de l’Etat de droit. L’exemple tunisien en témoigne. Dans ce contexte parfaitement résumé par A. Potocki, ancien juge français par la Cour européenne des droits de l’homme, par une formule tirée d’une série à succès « Winter is coming », le rôle des Cours supranationales protectrices des droits de l’homme est plus que jamais crucial.


[1] C. Schmitt, Les trois types de pensée juridique, 1934, traduction de M. Koller, PUF, 1995, p. 67 et s. ; C. Schmitt, Théologie politique, 1922, réédition 1969, Gallimard, 1988, p.15.

[2] Il s’agit d’une hypothèse d’école. Précisons en effet que la France a formulé une réserve à l’article 15 de la CEDH (clause de dérogation) formulée en ces termes ; «Le Gouvernement de la République, conformément à l’article 64 de la Convention, émet une réserve concernant le paragraphe 1 de l’article 15 en ce sens, d’une part, que les circonstances énumérées par l’article 16 de la Constitution pour sa mise en œuvre, par l’article 1er de la loi du 3 avril 1878 et par la loi du 9 août 1849 pour la déclaration de l’état de siège, par l’article 1er de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 pour la déclaration de l’état d’urgence, et qui permettent la mise en application des dispositions de ces textes, doivent être comprises comme correspondant à l’objet de l’article 15 de la Convention et, d’autre part, que pour l’interprétation et l’application de l’article 16 de la Constitution de la République, les termes dans la stricte mesure où la situation l’exige ne sauraient limiter le pouvoir du Président de la République de prendre les mesures exigées par les circonstances». L’objet de la réserve est de prévenir tout contrôle européen sur les pouvoirs du Président de la République en temps de crise.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Dissoudre un parti politique en Conseil des ministres ? Interrogations autour de la dissolution de civitas, Augustin BERTHOUT, doctorant à l’Université de Montpellier, CERCOP, JP blog, le blog de Jus Politicum, 21 octobre 2023

Dissoudre un parti politique en Conseil des ministres ?  Interrogations autour de la dissolution de civitas,  Augustin BERTHOUT ,  doctorant à l’Université de Montpellier, CERCOP,  JP blog, le blog de Jus Politicum,   21 octobre 2023 ➤ Décidée en Conseil des ministres le 4 octobre 2023, la dissolution de Civitas s’inscrit dans une liste déjà longue d’organisations politiques dissoutes durant les quinquennats d’Emmanuel Macron. Cependant, elle s’en distingue en ce qu’elle vise pour la première fois depuis 1987 une association constituée en parti politique. Elle offre ainsi l’occasion de questionner la conformité de la dissolution administrative des partis politiques tant au regard de la Convention européenne des droits de l’homme qu’au regard de la Constitution elle-même. ➤ Lien vers JP blog : https://blog.juspoliticum.com/2023/10/21/dissoudre-un-parti-politique-en-conseil-des-ministres-interrogations-autour-de-la-dissolution-de-civitas-par-augustin-berthout/

Les docteurs du CERCOP recrutés Maîtres de conférences de droit public en 2023

Toute l'équipe du CERCOP adresse ses chaleureuses félicitations aux 4 docteurs recrutés  Maîtres de conférences de droit public en 2023  : Z. Brémond, G. Herzog, E. Kohlhauer et F. Youta. - M. Zérah Brémond a été recruté comme Maître de conférences de droit public à la Faculté de droit de l'Université de Pau. Il est l'auteur d'une thèse sur Le territoire autochtone dans l'Etat postcolonial, étude comparée des colonisations britannique et hispanique, réalisée sous la direction du professeur Jordane Arlettaz et soutenue devant un jury composé des professeurs Norbert Rouland, Laurence Burgorgue-Larsen, Albane Geslin, Carine Jallamion et Jordane Arlettaz. Résumé de la thèse : Partant de la comparaison des États issus des colonisations britannique (États-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande) et hispanique (Amérique latine), cette thèse a pour ambition d’appréhender la manière dont les États issus de la colonisation ont pu faire face à la question autochtone au r

Droit constitutionnel et administratif, entre unité et spécificités, sous la direction de Julien BONNET, Xavier DUPRE DE BOULOIS, Pascale IDOUX, Xavier PHILIPPE et Marion UBAUD-BERGERON, Mare & Martin, 31 août 2023, 310 p.

➤ A découvrir chez Mare & Martin : Droit constitutionnel et administratif, entre unité et spécificités, sous la direction de Julien BONNET, Xavier DUPRE DE BOULOIS, Pascale IDOUX, Xavier PHILIPPE et Marion UBAUD-BERGERON, Mare & Martin, 31 août 2023, 310 p. ➤ Résumé : Depuis 1958, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont en charge d’assurer le respect de la Constitution par les différentes autorités politiques et administratives françaises. Leur cohabitation n’a pas été sans susciter des frictions. La création de la question prioritaire de constitutionnalité par la révision constitutionnelle de 2008 a contribué à renouveler les termes du débat. Le présent ouvrage, publié à l’initiative de laboratoires de recherche de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de l’université de Montpellier, entend rendre compte et analyser les nouveaux enjeux de cette cohabitation. Une trentaine d’enseignants-chercheurs se sont ainsi attachés à l’étude critique des jurisprudences res