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Des nouvelles d’Italie : miroir, mon beau miroir, dis-moi que je ne suis pas la plus laide, Jordane ARLETTAZ, Professeur de droit public, Université de Montpellier, CERCOP



Des nouvelles d’Italie : miroir, mon beau miroir, 
dis-moi que je ne suis pas la plus laide, 

Jordane ARLETTAZ, 
Professeur de droit public, Université de Montpellier, CERCOP

Par un heureux hasard de l’agenda universitaire, c’est depuis l’Italie où je réalise un séjour de recherches que fut pris connaissance des deux décisions du Conseil constitutionnel concernant le projet de réforme des retraites et la proposition de référendum d’initiative partagée.

Par un curieux hasard de l’agenda des juges constitutionnels de chaque côté des Alpes, ce jeudi 13 avril 2023, soit un jour avant la diffusion des décisions du Conseil, la Présidente de la Cour constitutionnelle italienne, Silvana Sciarra, recevait au Palais de la Consulta, le Président de la République italienne, le Président du Sénat et le Président de la Chambre des députés, pour présenter le rapport d’activités de la Cour pour l’année 2022. Le décorum accompagnant la solennité de cet exercice annuel tranchait incontestablement avec les images diffusées le lendemain en France, montrant un Conseil constitutionnel encerclé de cordons de sécurité.

Vieille démocratie, la France s’est peut-être enfin éveillée, durant cet hiver, à la démocratie constitutionnelle au sein de laquelle le jeu politique ne peut se déployer que dans le respect des règles inscrites dans la Constitution. De même que, lors de chaque coupe du monde de football, le pays voit émerger 68 millions de sélectionneurs, au cours du mois de mars, 68 millions de constitutionnalistes sont nés et c’est très bien. Cet éveil constitutionnel permettra sans doute, désormais, de donner à notre Constitution la place qui devrait être la sienne c’est-à-dire un texte incontournable dans tout débat démocratique, qu’il s’agisse de la discuter, de l’améliorer ou de la revendiquer ; il faut espérer aussi que cet éveil constitutionnel conduira le Conseil à prendre la mesure de son statut de gardien de la Constitution en faisant preuve de plus de pédagogie et en adoptant une réelle culture de la motivation. Le Conseil est en effet l’une des pièces maîtresses dans la diffusion d’une conscience constitutionnelle qui aurait la vertu de faire connaître la Constitution, de l’expliquer, de l’enseigner surtout. Mais cet optimisme se trouve freiné par le miroir tendu aux Français au-delà des Alpes et qui ne renvoie pas toujours la plus belle des images.

Lors de sa présentation du rapport d’activités de la Cour constitutionnelle italienne pour l’année 2022, la Présidente de la Cour a débuté son discours en évoquant la place de la Cour constitutionnelle au sein de l’Europe et dans le monde, soulignant la nécessité de la collaboration entre les juridictions nationales et européennes et convoquant à ce sujet « la métaphore du réseau », pour souligner « l’ouverture encore plus prononcée de la Cour constitutionnelle […], ouverture rendue urgente par l'escalade des guerres ». Cette ouverture s’est traduite en 2022, comme la Présidente le précise, par le constat d’une violation tant des principes constitutionnels que des droits inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, par les dispositions excluant les étrangers non communautaires dépourvus de permis de séjour de longue durée, du droit aux allocations de maternité. La défense par la Constitution et devant les plus hauts personnages de l’Etat, d’une solidarité emportant un coût financier a bien entendu du sens, dans un pays rencontrant de graves difficultés économiques et gouverné par un parti politique néofasciste.

Après ces propos liminaires mais percutant, Silvana Sciarra, consciente de la haute fonction que remplit une Cour constitutionnelle en démocratie, a évoqué les grands thèmes ayant occupé son office durant l’année 2022, du climat à la pandémie, de l’entreprise au travailleur, en passant par la famille et le genre et expliqué les décisions les plus essentielles de l’année. L’observateur français sera évidemment attentif à ses propos informant que l’an dernier, mystérieux hasard du calendrier juridictionnel, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur l’admissibilité de huit référendums abrogatifs. Le référendum d’initiative partagée à la française, qui s’est invité à la table des retraites, n’est pas dit abrogatif mais pourrait l’être, au-delà de l’année de promulgation d’une loi. Pédagogue, la Présidente de la Cour italienne souligne que celle-ci a invalidé trois référendums abrogatifs et a en 2022 « développé des critères de plus en plus scrupuleux concernant l'ensemble des valeurs constitutionnelles affectées par la demande d'abrogation, telles que l'exercice […] du droit de vote et l'inaliénabilité d'une protection minimale des droits et principes constitutionnels ». Un référendum abrogatif ne peut donc porter sur « les "noyaux normatifs" qui, s'ils étaient ébranlés, priveraient de la protection constitutionnelle nécessaire certains droits ou […] certaines prérogatives des organes judiciaires ». Certes, le peuple est donc lui aussi contenu dans ses prérogatives politiques mais il est également informé de ce qui s’offre à lui, au sein de la Constitution, en termes de protection de ses droits et de ses libertés.

Car si la Constitution est le quotidien de la politique, elle est aussi le quotidien des citoyens. Or cette appropriation citoyenne du texte rencontre en France certaines difficultés depuis longtemps surmontées en Italie. L’interminable attente des deux décisions du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites a en effet été comblée par un traitement journalistique évoquant très – trop – fréquemment « l’avis » qu’allait rendre le Conseil alors même que ce dernier rend depuis 1958 des décisions en droit s’imposant aux pouvoirs publics comme à l’ensemble des magistrats du pays. Le qualificatif de « sages » employé pendant près d’un mois pour désigner les membres du Conseil constitutionnel suggère un aéropage de conseillers au grand âge et occulte quelque peu la fonction d’interprète de la Constitution qui ne devrait avoir rien de sage et tout de juridique. Enfin, la surexposition médiatique de la nature politique des saisines du Conseil après l’usage de l’article 49 alinéa 3 n’a pas permis de donner à voir un autre visage du Conseil constitutionnel que celui venant clore une procédure législative mouvementée, une saisine en guise d’ultime obstruction parlementaire en quelque sorte, condamnant le Conseil à être coloré d’une teinte plus politisée que juridictionnelle. De son côté, le journal italien la Repubblica, pour ne citer que lui, accorde régulièrement à la Cour constitutionnelle de nombreux articles détaillant la vie interne de la Cour, les décisions attendues et celles rendues, insérant la Cour et la Constitution dans le quotidien des Italiens. De plus, les nombreux renvois à la Cour de questions de constitutionnalité des lois par les juges, participent à identifier la Cour à une véritable juridiction alors même qu’elle est également saisie de conflits politiques et juridiques entre les organes de l’Etat ou entre l’Etat et les régions.

Sans doute, le récent contexte politique et social en France n’a pas permis au Conseil constitutionnel d’entrer en lumière de la manière la plus sereine. Mais sans doute aussi, l’absence de projecteurs et d’analyses journalistiques de ses précédentes décisions lui était très confortable, en lui permettant de murmurer des décisions aux quelques considérants. Il lui faut aujourd’hui accompagner l’éveil constitutionnel français en expliquant, décision par décision, ce que la Constitution offre à l’individu dans le champ des droits et libertés et à chaque citoyen dans le champ de l’action politique. Il reste aux médias à relayer toutes les paroles constitutionnelles afin de placer la Constitution et les débats autour de la Constitution, dans le quotidien des Français. Bref, le miroir italien invite à débunkeriser un Conseil qui, devenu familier et légitimé, n’aurait plus besoin de cordons de sécurité.


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