Accéder au contenu principal

Le pluralisme et le temps de parole des politiques dans l’audiovisuel : la « pirouette nocturne » de CNEWS censurée par le Conseil d’État, Note de jurisprudence, CE, 13 janvier 2023, SESI, n° 462663, Gohar GALUSTIAN, Docteure en droit public, CERCOP, Université Montpellier



Le pluralisme et le temps de parole des politiques dans l’audiovisuel :
la « pirouette nocturne » de CNEWS censurée par le Conseil d’État.

Note de jurisprudence. 
CE, 13 janvier 2023, SESI, n° 462663.

Gohar GALUSTIAN
Docteure en droit public
CERCOP, Université Montpellier

« Il y a des chaînes qui ont accès à des fréquences gratuites en échange de certaines obligations, ces obligations sont dans la loi, elles sont très claires, il y a, [notamment], le respect du pluralisme »[1], a déclaré Rima Abdul Malak, la ministre de la Culture, le 2 février dernier, au micro de France Inter. Le respect du pluralisme des courants politiques est particulièrement encadré en France. Dans ce domaine, la loi soumet les médias audiovisuels à un régime juridique plus contraignant que celui applicable à la presse écrite. Cette différence se comprend au regard « des contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication audiovisuels »[2], en ce que les chaînes de télévision et de radio ont accès à des fréquences hertziennes, propriété publique, qui sont, contrairement aux supports de la presse écrite, limitées. Le pluralisme dans l’expression des opinions politiques est d’autant plus important dans les périodes électorales que la médiatisation des campagnes est sans cesse grandissante ; « l’impartialité des médias est devenue, en soi, un thème de campagne récurrent »[3]. Sur ce point, l’ARCOM[4] joue un rôle crucial[5] et veille à l’équilibre entre la liberté constitutionnellement protégée de communication[6] et l’objectif à valeur constitutionnelle de pluralisme de l’expression des courants de pensées et d'opinions[7]. À six mois de chacune des élections présidentielles, l’ARCOM édicte à destination des chaînes de télévision et de radio une recommandation[8] qui précise, entre autres, les règles de calcul du temps de parole des politiques dans le respect du principe de pluralisme. Cette recommandation est, contrairement à ce que son nom laisse supposer, d’effet obligatoire. En cas de manquements par les chaînes à leurs obligations, l’autorité administrative indépendante peut leur adresser une mise en demeure les invitant à se conformer au cadre juridique. La régulation administrative est soumise, à son tour, au contrôle prétorien et, dans certains cas, il revient au juge de préciser l’interprétation des dispositions applicables en la matière : la décision rendue par le Conseil d’État le 13 janvier 2023 en est une récente illustration. Cet arrêt est riche d’enseignements aussi bien quant au cadre juridique du principe de pluralisme applicable aux médias qu’en ce qui concerne l’articulation, dans ce domaine, de l’office du juge avec les pouvoirs exécutif et législatif.

L’espèce commentée concerne plus spécifiquement l’élection présidentielle de 2022 et le traitement médiatique de sa campagne électorale par CNEWS. Entre le 1er octobre et le 15 novembre 2021, 82% des interventions du Président de la République, de ses collaborateurs et des membres du Gouvernement, ainsi que 53% de celles des représentants de « La France insoumise », ont été diffusées sur cette chaîne entre minuit et 5 heures 59 du matin. En revanche, en journée, soit entre 6 heures du matin et minuit, ces interventions correspondaient, respectivement, à 8,6% et 3,7% du temps total. Le 3 décembre 2021, le CSA a mis en demeure la société d'exploitation d'un service d'information (la Société), détentrice des autorisations et concessions de diffusion de la chaîne CNEWS, de se conformer, avant le 31 décembre 2021 et à l’avenir, aux dispositions relatives au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision. Après avoir formulé un recours gracieux contre cette décision que l’autorité administrative indépendante a rejeté le 19 janvier 2022, la Société a saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation pour excès de pouvoir.

La haute juridiction administrative rejette l’ensemble des moyens de légalité externe soulevés par la Société requérante. Plus intéressant, le contrôle de la légalité interne de la décision de l’ARCOM a conduit le juge administratif à se prononcer sur la problématique de la prise en considération des heures de diffusion des émissions dans le décompte du temps de parole de responsables politiques dans l’audiovisuel. Sur ce point, le juge administratif considère que « si aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune stipulation applicable aux services de radio et de télévision ne précise expressément que le respect des obligations en matière d'expression pluraliste des courants d'opinion fixées par les dispositions rappelées au point 8 de la délibération du 22 novembre 2017, prise sur le fondement des articles 1 et 13 de la loi du 30 septembre 1986, doit s'apprécier en tenant compte des heures de diffusion des émissions, il résulte de l'objet même de ces dispositions, qui tendent à ce que les différents courants d'opinion soient équitablement diffusés afin de concourir à la formation de l'opinion des téléspectateurs et de contribuer ainsi au débat et à l'expression démocratique, que les obligations qu'elles édictent ne sauraient être regardées comme respectées sans tenir compte des horaires et des conditions de diffusion de ces émissions ».

Ainsi, pour rejeter la requête de la Société, le juge adopte une position volontariste et interprète les obligations en matière de pluralisme politique en ajoutant le critère de la prise en compte des horaires de diffusion des émissions, dans le calcul du temps de parole des politiques. Le Conseil d’État fait manifestement œuvre créatrice en « découvrant » un principe, dans le silence du texte. Malgré une liberté que le juge s’accorde dans l’interprétation du cadre juridique, sa démarche est à saluer en ce que l’interventionnisme prétorien permet, à la fois, de mieux protéger le pluralisme politique dans les médias audiovisuels (I) et, en nourrissant le débat démocratique, de mieux informer le téléspectateur-citoyen quant à l’offre électorale (II).

I - Le pluralisme politique mieux protégé par la prise en compte de l’horaire de diffusion des émissions politiques

Le juge adopte l’interprétation téléologique des normes applicables en tirant le principe de prise en compte des heures de diffusion des émissions dans le calcul du temps de parole de l’objet même des textes concernés. Cette position prétorienne est cohérente avec la finalité du cadre normatif qui vise à garantir le pluralisme de l’expression des courants de pensées et d'opinions. La prise en compte des conditions de diffusion des émissions participe effectivement à une meilleure protection de cet objectif constitutionnel. Le juge adopte la démarche casuistique et interventionniste pour pallier le comportement volontairement déloyal des chaînes de radio et de télévision qui nuit à l’expression du pluralisme dans les émissions diffusées. L’exemple de CNEWS montre comment ces sociétés peuvent, par une « pirouette nocturne », privilégier un(e) candidat(e) ou un courant de pensée et méconnaître de fait le respect du pluralisme tout en suivant formellement le droit applicable. En l’espèce, en cantonnant les candidats et les responsables politiques s’exprimant en faveur d’Emmanuel Macron et les partisans de « La France insoumise » aux heures de diffusion peu regardées, CNEWS a favorisé indirectement mais nécessairement les candidats de droite et d’extrême-droite, dont l’ancien chroniqueur de la chaîne, Éric Zemmour. Cette décision ne doit pas pour autant être lue à l’aune d’une approche politicienne ; elle mérite d’être inscrite dans la logique du pluralisme politique. Il ne s’agit pas pour le Conseil d’État de défavoriser implicitement les candidats d’un bord politique particulier mais de veiller à ce que les téléspectateurs aient accès à une information qui couvre largement l’offre électorale.

Les faits de l’espèce remontent à octobre-novembre 2021, soit cinq mois avant le premier tour de l’élection présidentielle qui a eu lieu le 10 avril 2022. Cette temporalité est importante puisque le cadre juridique qui entoure le décompte du temps de parole et d’antenne[9] des responsables politiques varie en fonction de la période plus ou moins éloignée de la tenue du scrutin. Les obligations qui pèsent sur les sociétés d’audiovisuel diffusant des émissions relatives à l’actualité de la politique nationale sont renforcées au fur et à mesure que s’approche le jour du vote. Plus précisément, un régime de droit commun s’applique en période considérée comme extra électorale, au sens de l’ARCOM, qui s’achève le 31 décembre de l’année n-1. En revanche, la période pré-électorale, qui court à partir du 1er janvier de l’année n jusqu’au second tour de l’élection, est régie par des dispositions particulières[10]. Ainsi, le principe de pluralisme est apprécié de façon plus souple avant le début de l’année électorale, alors qu’en période pré-électorale les médias sont soumis au respect de l’équité puis de l’égalité de temps de parole. L’évolution des règles en la matière montre le pragmatisme avec lequel fut pensé le régime juridique applicable. À l’approche d’un scrutin, l’actualité électorale occupe de plus en plus la grille de diffusion des chaînes radio et télévision. Dès lors, en période pré-électorale, les sociétés de diffusion sont susceptibles de participer d’autant plus à la formation de l’opinion publique sur tel(le) ou tel(le) candidat(e). Ainsi, il est logique que le régime juridique soit plus strict à l’approche d’une élection.

En l’espèce, la chaîne de télévision CNEWS, comme ses concurrents, était soumise au droit commun qui est défini par la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication[11] complétée par des conventions conclues avec les exploitants des chaînes. Cette législation pose une obligation de « respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale ». Il est vrai qu’au regard du découpage entre les périodes « hors électorale » et « pré-électorale », l’esprit des textes encadrant le décompte du temps de parole suppose une plus grande marge de manœuvre accordée aux médias avant le 1er janvier de l’année n, donc dans le cas applicable en l’espèce. Toutefois, plus flexible, le cadre juridique de droit commun n’accorde pas pour autant une liberté absolue aux sociétés de l’audiovisuel et doit s’apprécier au regard du principe de pluralisme politique. Dès lors, s’il est possible d’observer des tendances de préférences politiques selon les chaînes ou les émissions diffusées, il n’y a pas, en France, de « chaîne de parti », à l’exemple de Fox News américain ouvertement pro-républicain. Le droit outre-Atlantique ne connaît effectivement pas de réglementation encadrant le temps de parole des politiques dans les médias, hors les périodes électorales. Si un régime semblable à celui applicable en France se retrouve dans quelques États européens, cette logique est loin d’être partagée par l’ensemble des voisins de l’Hexagone. Ainsi, alors qu’en Italie, l’AGCOM[12] contrôle le décompte de temps de parole des politiques dans les médias, en Allemagne, les chaînes privées sont parfaitement maîtres des horloges de leurs émissions en vertu de l’article 5 de la Loi fondamentale qui garantit le droit à l’information.

La décision commentée s’inscrit dans une position constante du Conseil d’État en matière de décompte du temps d’antenne, même en dehors du champ électoral. Dans ce domaine, le juge administratif suit une ligne jurisprudentielle qui fait classiquement preuve de pragmatisme. En 1989[13], la Haute juridiction administrative a censuré la chaîne TF1 pour avoir utilisé le même mécanisme de diffusion nocturne, dans le respect formel de son obligation en matière de promotion d’œuvres françaises dans l’audiovisuel[14]. Le parallèle avec le cas d’espèce est aisé à tracer et la décision du Conseil d’État de 1989 est très proche de celle commentée. En censurant TF1, le juge administratif avait retenu que, même dans le silence du cadre normatif, « il résulte de l'objet même des dispositions, qui tendent à ce que soit mise à la disposition effective du public une part minimale d'œuvres d'expression originale française et d'origine communautaire, que cette obligation ne saurait être regardée comme respectée si les pourcentages fixés pour lesdites œuvres n'étaient atteints que par des diffusions ayant lieu au cours des programmes de nuit, à des heures où l'audience est quasi-nulle et si le respect de ces pourcentages n'était pas assuré aux heures normales d'écoute c'est-à-dire entre 6 heures 30 et 1 heure du matin ». Le pragmatisme du juge administratif s’observe plus largement dans ses décisions adoptées à l’égard des règles applicables aux sociétés de l’audiovisuel dans un contexte électoral. Ainsi, le Conseil d’État a eu à s’exprimer sur la notion de « personnalité politique », dans le cadre du décompte du temps de parole à l’antenne. Les chaînes de radio et de télévision doivent, à titre déclaratif, transmettre à l’ARCOM les « données relatives aux temps d’intervention des personnalités politiques »[15]. L’autorité administrative a, dès lors, demandé aux sociétés de lui communiquer le décompte de temps de parole des MM. Nicolas Hulot, Laurent Joffrin, Arnaud Montebourg et Manuel Valls. Cette décision a été contestée par les sociétés Groupe Canal Plus, Canal Plus et C8 en arguant de ce que ces derniers ne pouvaient être qualifiés de « personnalités politiques », faute de mandat électoral en cours ou d’adhésion à un parti politique. Dans une décision de 2022[16], le juge administratif donna raison à l’ARCOM en précisant que « ces personnalités appartenaient ou avaient récemment appartenu à des partis, groupements ou mouvements politiques et avaient récemment exercé des fonctions politiques ou aspiraient à exercer de telles fonctions et, d’autre part, qu’elles participaient activement, à la date de la décision attaquée, au débat politique national » Le réalisme du juge fut, à nouveau, mis au service d’une meilleure protection du pluralisme politique dans les médias.

Ainsi, la décision est à saluer en ce qu’elle s’inscrit fidèlement dans la logique du cadre normatif qui vise à protéger le pluralisme politique. Au-delà de la protection d’un principe abstrait, cette réglementation vise surtout à permettre une meilleure information du téléspectateur-citoyen qui se présente in fine comme le destinataire principal des normes applicables.

II – Le téléspectateur-citoyen mieux informé par la prise en compte de l’horaire de diffusion des émissions politiques

L’interventionnisme du juge était nécessaire en l’espèce au regard de l’imprécision qui caractérise le cadre normatif entourant le principe du pluralisme des courants politiques. La jurisprudence commentée témoigne, dès lors, d’une intervention prétorienne souhaitable puisqu’elle permet de combler une lacune dans la réglementation et la législation applicables au décompte du temps de parole des responsables politiques. La France est l’un des rares États, aux côtés notamment du Portugal[17], du Maroc[18] ou de la Venezuela[19], à avoir constitutionnalisé le pluralisme des courants politiques. Cependant, malgré la « double constitutionnalisation » [20] de ce principe en France dès 2008, la norme suprême demeure silencieuse quant à son contenu précis. Même si l’« interprétation constructive et contemporaine [par le juge constitutionnel] de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme qui proclame la liberté fondamentale de communication des pensées et d’opinions »[21] a permis de consacrer le principe de pluralisme, la jurisprudence constitutionnelle n’est « pas éclairante s’agissant des critères permettant au Conseil d’[en] évaluer la garantie suffisante »[22]. Dès lors, le législateur ordinaire avait toute liberté pour encadrer le principe de pluralisme, d’autant plus que le « pluralisme des médias » est compris dans le domaine de la loi, depuis la révision de 2008. Pourtant, la loi du 30 septembre 1986 n’a pas été modifiée sur ce point ; elle reste silencieuse sur le périmètre du pluralisme et confie surtout à l’autorité administrative indépendante compétente le contrôle du respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les médias audiovisuels. Ainsi, agissant dans un cadre législatif et constitutionnel imprécis, l’ARCOM bénéficie d’une large liberté pour interpréter les dispositions applicables en matière de pluralisme. Le juge administratif qui contrôle ses décisions intervient, à son tour, dans un périmètre normatif substantiellement pauvre lui donnant une marge de manœuvre importante. Le volontarisme du juge est donc bienvenu en l’espèce dans la mesure où il permet la protection du téléspectateur-citoyen.

Le juge souligne que les dispositions législatives et réglementaires « tendent à ce que les différents courants d'opinion soient équitablement diffusés afin de concourir à la formation de l'opinion des téléspectateurs et de contribuer ainsi au débat et à l'expression démocratique ». Philie Marcangelo-Leos précise qu’« en tant qu’il véhicule des informations, le message audiovisuel remplit un rôle politique consistant à éclairer le citoyen et à lui permettre d’exercer sa citoyenneté. »[23] Puisque la prise en compte des horaires de diffusion des émissions permet une meilleure représentativité des courants politiques dans les médias, ce principe participe à une information plus qualitative du téléspectateur-citoyen et nourrit, par conséquent, le débat démocratique. Il est important de rappeler que le pluralisme se distingue dans ses volets interne et externe ; il est dès lors envisagé sous l’angle « à la fois de la liberté d’émettre et de la liberté de recevoir les infirmations »[24]. Dans son volet externe, applicable aussi à la presse écrite ou sur Internet, il suppose une « pluralité de sources d’information »[25] laissant aux lecteurs et aux téléspectateurs la possibilité de faire un libre choix. Le système de décompte quantitatif du temps de parole applicable aux chaînes de télévision et de radio s’inscrit, quant à lui, dans la logique du pluralisme interne censé permettre, « sur chaque antenne, l’expression d’une pluralité de points de vue »[26]. Le principal bénéficiaire du pluralisme interne est donc le téléspectateur-citoyen.

Ainsi, dans la recherche d’un équilibre entre la liberté de communication et le pluralisme, le principe de la prise en compte des horaires des émissions privilégie le second au détriment du premier. Cette position semble, toutefois, cohérente puisque « l’interprétation téléologique de la liberté [de communication de l’article 11 de la DDHC] conduit à tempérer la liberté d’émettre précisément afin d’assurer le libre choix de ceux qui reçoivent l’information »[27]. Cette logique se comprend dans la mesure où le pluralisme politique est étroitement lié à la notion de démocratie. La Professeure Ariane Vidal-Naquet précise que le pluralisme[28] est devenu consubstantiel à « une vision moderne de démocratie »[29]. Défini par le Conseil constitutionnel, d’abord, comme « une des conditions de la démocratie »[30], le pluralisme est érigé, ensuite, en une « exigence constitutionnelle »[31] avant d’être consacré comme « le fondement de la démocratie »[32]. Il est emblématique que « c’est bien en relation avec la liberté de communication que le pluralisme a été érigé en condition de démocratie »[33]. Le lien intrinsèque entre le pluralisme et la démocratie est aussi souligné par la Cour européenne des droits de l’Homme qui précise qu’« il n’est pas de démocratie sans pluralisme »[34]. L’encadrement des obligations qui pèsent sur les chaînes en charge d’un service public se justifie d’autant plus au regard de la médiatisation croissante de la vie politique, en général, et des élections présidentielles, en particulier. Le respect du pluralisme politique est plus complexe en France et explique sans doute l’intervention casuistique du juge dès lors que le nombre de candidats à l’élection présidentielle y est traditionnellement élevé : 12 en 2022, 11 en 2017.

Si l’arrêt de l’espèce est un pas vers un plus grand respect du pluralisme politique dans les médias audiovisuels, la question demeure cependant concernant le respect de ce principe par les plateformes en ligne et les réseaux sociaux. La campagne a aussi lieu sur Twitch et TikTok, sur YouTube et dans des web-séries dédiées aux candidats. Ces plateformes occupent une place médiatique de plus en plus importante dans les campagnes électorales mais échappent aux règles en matière du pluralisme. Soumise à la seule obligation de lutter contre les manipulations de l’information définie par la loi de 2018[35], la règlementation juridique applicable aux plateformes demeure très certainement insuffisante pour garantir la véracité de toutes les informations circulant sur Internet et surtout peu efficace pour assurer le respect du principe de pluralisme.

[1] « La ministre de la Culture "inquiète" des "atteintes à la liberté d'expression et de création" de Vincent Bolloré », France-Inter, 9 février 2023. En linge : https://www.francetvinfo.fr/economie/medias/la-ministre-de-la-culture-inquiete-des-atteintes-a-la-liberte-d-expression-et-de-creation-de-vincent-bollore_5648996.html

[2] CC, Décision n° 82-141 DC du 27 juillet 1982, Loi sur la communication audiovisuelle, considérant 5.

[3] M.-L. Denis, « La régulation audiovisuelle et l'élection présidentielle », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2012/1 (N° 34), p. 23.

[4] L’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) a été créée par la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 par fusion du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI).

[5] Toutefois, certaines chaînes échappent à la régulation de l’ARCOM. Ainsi, La Chaîne parlementaire n’est pas soumise aux règles édictées par l’ARCOM, même si dans les faits elle s’en inspire beaucoup. Juridiquement, LCP Assemblée et Public Sénat, qui composent La Chaîne parlementaire, sont des sociétés commerciales de droit privé détenues, respectivement, par l’Assemblée Nationale et le Sénat. En application du principe de la séparation des pouvoirs, LCP échappe au contrôle de l’autorité administrative indépendante et l’exigence légale de l’impartialité est contrôlée par le bureau de chaque assemblée parlementaire concernée. ARTE, à son tour, ne relève pas de la compétence de l’ARCOM. Régie par un traité franco-allemande du 2 octobre 1990, la chaîne est contrôlée directement par les sociétaires, ARTE France et ARTE Deutschland, qui détiennent chacun 50% du capital.

[6] CC, décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, voir considérant n° 11 : « la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ».

[7] Pour la communication audiovisuelle, dans la décision fondatrice, CC, 27 juill. 1982, n° 82-141 DC, le Conseil a consacré l’objectif de « préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels ». Mais à partir de la décision n° 2001-450 DC du 11 juillet 2001, le Conseil fait référence aux « courants de pensées et d'opinions ».

[8] Adoptée par l’ARCOM, la recommandation est soumise préalablement à l’avis conforme du Conseil constitutionnel. Elle peut être contrôlée ultérieurement par le Conseil d’État et son application est suivie par la Commission nationale de contrôle de l’élection présidentielle (instituée par l’article 13 du décret no 2001-213 du 8 mars 2001, la Commission est présidée par le vice-Président du Conseil d’État ; elle veille à ce que les candidats à l’élection bénéficient des mêmes facilités de la part de l’État durant la campagne électorale).

[9] Le temps d’antenne ne s’apprécie que dans le cadre de l’élection présidentielle et correspond à l’ensemble de séquences diffusées sur la chaîne qui parlent d’un(e) candidat(e), dès lors qu’elles ne lui sont pas, selon les termes de l’ARCOM, « explicitement défavorables »​.

[10] À l’approche d’un scrutin, l’ARCOM définit un calendrier selon lequel évolue le régime juridique applicable en matière de décompte de temps de parole des politiques et de temps d’antenne. S’agissant de l’élection du Chef de l’État, l’ARCOM s’appuie sur la loi organique du 25 avril 2016 (pour le scrutin de 2022, a été prise la recommandation n° 2021-03 du 6 octobre 2021). La période précédant le scrutin est découpée en trois laps de temps. La première sous-période pré-électorale commence à courir le 1er janvier de l’année électorale et dure jusqu’à la publication de la liste officielle des candidats par le Conseil constitutionnel. La seconde sous-période pré-électorale s’étale de la publication de la liste des candidats jusqu’à 15 jours avant la tenue du premier tour du scrutin, alors que la sous-période débutant 15 jours avant le premier tour et allant jusqu’au second est qualifiée d’« électorale » par l’ARCOM. À ces trois périodes s’impose respectivement la règle de l’équité médiatique, puis celle de l’équité renforcée et, enfin, celle d’égalité. L’équité s’apprécie au regard de la représentativité des candidats (qui se mesure, à l’aune d’un faisceau d’indices comprenant, notamment, les résultats aux plus récentes élections, le nombre d’élus de sa formation politique etc.) et la volonté affichée d’être candidat. « L’équité renforcée » doit être comprise, au sens de l’ARCOM, comme l’égalité des temps de parole et l’équité des temps d’antenne.

[11] Plus spécifiquement, ses articles 1er, 13, 28 et 42.

[12] Autorita per le garanzie nelle communicazione [Autorité pour les garanties en matière de communication].

[13] CE, S., 20 janvier 1989, n°103063, au rec.

[14] Selon l'article 5 du décret n° 87-36 du 26 janvier 1987, les œuvres audiovisuelles annuellement incluses dans les programmes mis à la disposition du public doivent, pour 50 % au moins d'entre elles, être d'expression originale française.

[15] Le second alinéa de l’article 13 de la loi (dite Léotard) 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté.

[16] CE, 28 septembre 2022, n° 452212, considérant 10.

[17] Article 2 de la Constitution portugaise précise que « La République portugaise est un État de droit démocratique fondé [...] sur le pluralisme de l’expression et de l’organisation politique démocratiques ».

[18] Article 7 titre I relatif aux partis politiques, qui précise que « ceux-ci participent à l’exercice du pouvoir, sur la base du pluralisme et de l’alternance par des méthodes démocratiques, dans le respect du cadre constitutionnel ».

[19] Titre 1, article 2 renvoie à la prééminence des droits fondamentaux et au pluralisme politique.

[20] A. Vidal-Naquet, « Pluralisme des expressions politiques, oppositions et alternances », Diversité de la démocratie- Théories et comparatisme – les pays de la Mélanésie, décembre 2015, Nouméa, p. 343. Depuis la révision du 23 juillet 2008, les articles 4 et 34 de la Constitution concernent, respectivement, les « expressions pluralistes des opinions » et « la liberté́, le pluralisme et l’indépendance des médias ».

[21] Philie Marcangelo-Leos, « Pluralisme et audiovisuel », LGDJ, Thèses, Bibliothèque de droit public, 2004, p. 3.

[22] Ibid., p. 87.

[23] Ibid., p. 348.

[24] Ibidem.

[25] B. Barraud, « Audiovisuel et pluralisme politique. De quelques pérégrinations du CSA entre réalisme et idéalisme », Pouvoirs, vol. 142, no. 3, 2012, p. 122.

[26] M.-L. Denis, op. cit., p. 23.

[27] Philie Marcangelo-Leos, op. cit., p. 3.

[28] Avec opposition et alternance.

[29] A. Vidal-Naquet, op. cit., p. 343.

[30] CC, n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté́ de communication, cons. 11, Rec., p. 141.

[31] CC, n° 2004-497 DC du 1er juillet 2004, Loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, cons. 13, Rec. p. 107.

[32] CC, n° 89-271 DC du 11 janvier 1990, Loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, cons. 12, Rec., p. 21. Voir aussi CC, n° 2014-407 QPC du 18 juillet 2014, MM. Jean-Louis M. et Jacques B. [Seconde fraction de l’aide aux partis et groupements politiques], JORF du 20 juillet 2014, p. 12116, cons. 12.

[33] Philie Marcangelo-Leos, op. cit., p. 2.

[34] CEDH, Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, req. N° 5493/72, § 49.

[35] Loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information (1), JORF n°0297 du 23 décembre 2018. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037847559/

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Dissoudre un parti politique en Conseil des ministres ? Interrogations autour de la dissolution de civitas, Augustin BERTHOUT, doctorant à l’Université de Montpellier, CERCOP, JP blog, le blog de Jus Politicum, 21 octobre 2023

Dissoudre un parti politique en Conseil des ministres ?  Interrogations autour de la dissolution de civitas,  Augustin BERTHOUT ,  doctorant à l’Université de Montpellier, CERCOP,  JP blog, le blog de Jus Politicum,   21 octobre 2023 ➤ Décidée en Conseil des ministres le 4 octobre 2023, la dissolution de Civitas s’inscrit dans une liste déjà longue d’organisations politiques dissoutes durant les quinquennats d’Emmanuel Macron. Cependant, elle s’en distingue en ce qu’elle vise pour la première fois depuis 1987 une association constituée en parti politique. Elle offre ainsi l’occasion de questionner la conformité de la dissolution administrative des partis politiques tant au regard de la Convention européenne des droits de l’homme qu’au regard de la Constitution elle-même. ➤ Lien vers JP blog : https://blog.juspoliticum.com/2023/10/21/dissoudre-un-parti-politique-en-conseil-des-ministres-interrogations-autour-de-la-dissolution-de-civitas-par-augustin-berthout/

Les docteurs du CERCOP recrutés Maîtres de conférences de droit public en 2023

Toute l'équipe du CERCOP adresse ses chaleureuses félicitations aux 4 docteurs recrutés  Maîtres de conférences de droit public en 2023  : Z. Brémond, G. Herzog, E. Kohlhauer et F. Youta. - M. Zérah Brémond a été recruté comme Maître de conférences de droit public à la Faculté de droit de l'Université de Pau. Il est l'auteur d'une thèse sur Le territoire autochtone dans l'Etat postcolonial, étude comparée des colonisations britannique et hispanique, réalisée sous la direction du professeur Jordane Arlettaz et soutenue devant un jury composé des professeurs Norbert Rouland, Laurence Burgorgue-Larsen, Albane Geslin, Carine Jallamion et Jordane Arlettaz. Résumé de la thèse : Partant de la comparaison des États issus des colonisations britannique (États-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande) et hispanique (Amérique latine), cette thèse a pour ambition d’appréhender la manière dont les États issus de la colonisation ont pu faire face à la question autochtone au r

Droit constitutionnel et administratif, entre unité et spécificités, sous la direction de Julien BONNET, Xavier DUPRE DE BOULOIS, Pascale IDOUX, Xavier PHILIPPE et Marion UBAUD-BERGERON, Mare & Martin, 31 août 2023, 310 p.

➤ A découvrir chez Mare & Martin : Droit constitutionnel et administratif, entre unité et spécificités, sous la direction de Julien BONNET, Xavier DUPRE DE BOULOIS, Pascale IDOUX, Xavier PHILIPPE et Marion UBAUD-BERGERON, Mare & Martin, 31 août 2023, 310 p. ➤ Résumé : Depuis 1958, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont en charge d’assurer le respect de la Constitution par les différentes autorités politiques et administratives françaises. Leur cohabitation n’a pas été sans susciter des frictions. La création de la question prioritaire de constitutionnalité par la révision constitutionnelle de 2008 a contribué à renouveler les termes du débat. Le présent ouvrage, publié à l’initiative de laboratoires de recherche de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de l’université de Montpellier, entend rendre compte et analyser les nouveaux enjeux de cette cohabitation. Une trentaine d’enseignants-chercheurs se sont ainsi attachés à l’étude critique des jurisprudences res