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"Chronique de droit constitutionnel comparé des droits et libertés 2022-2023. Le droit constitutionnel à un environnement sain ou le champ des possibles", J. Arlettaz et a., RDLF 2024 chron. n°11

CHRONIQUE DE DROIT CONSTITUTIONNEL COMPARÉ DES DROITS ET LIBERTÉS 2022-2023. LE DROIT CONSTITUTIONNEL À UN ENVIRONNEMENT SAIN OU LE CHAMP DES POSSIBLES, Jordane ARLETTAZ, Augustin BERTHOUT, Zérah BREMOND, Federica CAMILLIERI, Lorenzo GARCIA, Yann DOUE, , RDLF 2024 chron. n°11

➤ "Le droit de l’environnement, longtemps appréhendé comme un droit administratif aux contours essentiellement techniques, s’est déployé dans tous les domaines du champ juridique sous l’effet notamment de l’urgence climatique et, par cela, a changé de visage. D’administratif, il s’est fait constitutionnel ; de technique, il est devenu fondamental. Désormais très largement mobilisée sous l’angle des droits et libertés, la question environnementale rencontre dès lors celle propre aux régimes juridiques des droits et libertés : quels sont ces droits fondamentaux environnementaux ? Quels en sont les fondements juridiques ? Qui peut se prévaloir de leur titularité ? Comment protéger ces droits face à une violation encore hypothétique parce que non effectivement réalisée ? Quelle sanction juridictionnelle peut adéquatement limiter ou réparer l’atteinte à ces droits ?

Transversal, nouveau, engageant, le droit à un environnement sain n’est sans doute pas un droit comme les autres. Et, pour ne rien cacher au lecteur, il fut le plus complexe à saisir juridiquement parmi les droits déjà traités dans cette chronique. Le foisonnement de la littérature comme l’abondance des contentieux ont conduit à multiplier les regards et à parcourir l’ensemble des continents. Rien ne semble épargné par les enjeux environnementaux quand de nombreux droits et libertés constitutionnels se révèlent concernés, bien au-delà du seul droit à un environnement sain : la liberté d’expression, de manifestation et d’association qui soutiennent le militantisme écologique, le droit à la santé voire le droit à la vie nécessairement affectés par des politiques publiques ou des modèles de production non respectueux de l’environnement, le droit au juge lorsque ce dernier se déclare impuissant à sanctionner la violation du droit à un environnement sain, le droit de propriété quand la préservation de la nature sous-tend plus la figure de gardien que celle de propriétaire et l’idée de communs plutôt que celle de biens, le droit à l’égalité quand la pollution d’un côté, qui fait fi de la préservation de l’environnement, ou la transition énergétique de l’autre, qui entend au contraire le préserver, touche particulièrement certaines populations tout en en épargnant d’autres.

Le droit à un environnement sain est surtout audacieux ; il bouleverse les catégories juridiques et renverse les paradigmes jurisprudentiels. Sur ce point, la justice climatique qui se déploie en aval, particulièrement traitée par la doctrine juridique et largement médiatisée, a sans doute un peu occulté d’autres novations qui concernent l’amont, soit le moment de la décision politique lorsque cette dernière emporte des enjeux de nature environnementale. Les nombreuses assemblées citoyennes à qui furent confiées le soin de proposer, la création de comités scientifiques réunissant des experts érigés en gardiens des écosystèmes, l’obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones concernés par une mesure ayant un impact environnemental ou encore la mise en œuvre de l’actio popularis, démontrent que l’intérêt à agir revêt de multiples sens en droit dès lors que la problématique environnementale surgit : l’intérêt à agir sur la décision, l’intérêt à agir sur l’évaluation, l’intérêt à agir sur la protection, l’intérêt à agir sur l’action. En matière de droits et libertés, la multiplication des intérêts et la dilution des responsabilités provoquent un bouleversement qui n’est pas mince en ce que la victime comme le préjudice ne sont plus parfaitement identifiables. Dès lors, comment déterminer un motif d’action et canaliser ainsi les contentieux quand, par définition, tout le monde a (un) intérêt à agir ? Comment penser une justice qui n’est plus ni seulement réparatrice ni seulement protectrice mais qui participe à la définition de politiques publiques ? Sommes-nous donc toujours dans un contentieux de droits et libertés ?

L’actualité constitutionnelle ici chroniquée en témoigne : si les juges ont souvent été saisis de législations définissant une politique publique de lutte contre le réchauffement climatique, les droits et libertés convoqués n’étaient en réalité pas toujours directement affectés – les lois contestées relevant de la planification ou de la programmation – quand les victimes n’étaient parfois pas encore nées – générations futures. Le droit constitutionnel à un environnement sain dérègle donc aussi les horloges en redéfinissant les rapports du droit au temps. Dans ce contexte, il faut noter toute l’ingéniosité de la Cour constitutionnelle allemande pour élaborer en 2022 le concept juridique de « garantie intertemporelle de liberté » ou celle du Tribunal fédéral brésilien pour prononcer en septembre 2023 la fin du « cadre temporel » qui contenait dans le temps, les possibles restitutions de terres aux populations autochtones et leur accès aux ressources naturelles. Il faut également relever l’inventivité des avocats de la terre et leur choix d’unir les combats dans un sens intergénérationnel, indifférent aux âges, comme le démontrent par exemple les trois contentieux climatiques actuellement pendants devant la Cour européenne des droits de l’homme dont un est porté par des femmes de plus de 80 ans contre l’Etat suisse et un autre initié par des requérants âgés de 10 à 23 ans contre 33 Etats du Conseil de l’Europe en raison de leur émission de gaz à effet de serre. Le droit constitutionnel à un environnement sain ouvre donc le champ des possibles : celui d’abord d’ériger ce droit nouveau au rang de droit fondamental (I), celui ensuite d’accueillir une voie contentieuse en défense de ce droit (II), celui encore d’interpréter l’ensemble des normes constitutionnels dans un sens favorable aux titulaires de ce droit (III), celui enfin d’en sanctionner la violation (IV)". (...)

J. Arlettaz, Professeure de droit public, Université de Montpellier, CERCOP, A. Berthout, Doctorant, Université de Montpellier, CERCOP, Z. Brémond, Maître de conférences, Université de Pau et des Pays de l’Adour, IE2IA, F. Camillieri, Doctorante en cotutelle, Université de Pise et de Montpellier, Y. G. Doué, Doctorant, ATER à l’Université de Lille, CERCOP, L. Garcia, Doctorant, Université de Montpellier, CERCOP.





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