Accéder au contenu principal

« Laïcité, que d’erreurs on commet en ton nom ! », Stéphane PINON, Maître de conférences de droit public, qualifié professeur des Universités, membre du Cercop.


















A découvrir dans la revue Pouvoirs :

Stéphane PINON« Laïcité, que d’erreurs on commet en ton nom ! », Pouvoirs, n°177-2021 (Que peut l’Etat ?), rubrique « Chroniques », pp. 143-151.

Le projet de loi confortant le respect des principes de la République (dite « loi séparatisme »), actuellement en discussion dans les Chambres, le montre une fois de plus. L’intensité du débat autour de la « laïcité » est devenue si forte en France que la notion apparaît désormais comme un clivage en tant que tel, capable de transcender tous les autres. Chaque camp fédère des partisans venus d’horizons politiques ou intellectuels très divers. Aucun autre pays ne l’a imposé au prix de telles fractures. On parlera longtemps de la « division des deux France », entre les laïcs et les cléricaux, entre les républicains laïcs eux-mêmes. Aujourd’hui, pointe la menace d’une relation avec l’Islam qui tendrait à se penser dans un rapport ami/ennemi. Des éclaircissements s’imposent, tant la laïcité est porteuse d’interprétations fluctuantes

Dans une approche juridique assez classique, l’habitude a été prise de penser la laïcité française sous l’angle d’un combat historique binaire, entre une laïcité stricte ou « fermée » (dans le prolongement de celle défendue par R. Goblet, F. Buisson ou E. Combes) et une laïcité « ouverte » (voulue par A. Briand, rapporteur de la loi de 1905). Mais la société ne cesse d’évoluer ; le multiculturalisme grignote les pans du vieux récit républicain ; les minorités s’expriment et sont entendues par les juges. Une lecture ternaire de la laïcité doit s’effectuer aujourd’hui. De par le monde, les régimes de laïcité sont variés. La spécificité française est de consacrer dans son droit positif tout un panel de gradations. Voilà où se situe la principale difficulté. À y regarder de près, il existe en effet, sur l’échelle de la laïcité française, trois degrés de pratiques juridiquement consacrés : une laïcité libérale, une laïcité plus intransigeante et une laïcité ultra-libérale

Les deux dernières permettent à l’Etat d’interférer dans la vie des religionsIl s’agit là encore d’une tradition française, pourtant très éloignée de cette représentation communément donnée de la « neutralité », réduite à l’inaction étatiqueUn des grands spécialistes de la laïcité en France, le regretté Pierre-Henri Prélot, avait une explication : le retour en première ligne de cette neutralité active et bicéphale (dans son volet vigilance ou dans son aspect reconnaissance) serait l’illustration d’une « matrice gallicane » qui perdure en France. Elle viendrait parfois, en fonction de l’actualité du moment, se substituer à la « matrice libérale » de 1905. Pour l’auteur, les pouvoirs publics pas plus que les religions elles-mêmes n’ont jamais voulu ni su y renoncer (voir P. H. Prélot, « Les signes religieux et la loi de 1905 », revue, Société, droit et religion2- 2012, pp43-44). 

D’autres auteurs laissent entendre que nous assisterions au spectacle aussi grandiose que menaçant d’une rencontre entre deux religions : la religion séculière des « droits »(V. par exemple L. HenkinThe Age of Rights, New York, Columbia University Press, 1990), en pleine expansion depuis la Seconde guerre mondiale, et la montée en puissance de certaines religions traditionnelles, particulièrement de la religion musulmane. Toutes réclament des droits « créances » sur l’Etat, la protection des identités individuelles ou collectives. C’est l’avènement de la culture de la « reconnaissance » illimitée des singularités, en tout genre (sexuelles, ethniques, religieuses, régionales, alimentaires…), devant laquelle la tradition républicaine unitaire doit progressivement s’adapter et se réinventer
 
Lors de ses premiers combats, sous la IIIRépublique, la laïcité en France n’avait pas été pensée par rapport à l’Islam. Il a fallu depuis quelques décennies qu’elle s’y confronte. Cette confrontation a engendré de nombreuses relectures du régime de la laïcité, devenu pluriel. 

Cet article dans la revue Pouvoirs essaie d’en donner quelques illustrations
 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Retour sur la controverse autour du recours à l’article 11 ou à l’article 89 pour réviser la Constitution de 1958, Eric SALES, Maître de conférences de droit public, HDR, Faculté de droit et de science politique de l’Université de Montpellier, CERCOP

Retour sur la controverse autour du recours à l’article 11 ou à l’article 89 pour réviser la Constitution de 1958 Eric SALES , Maître de conférences de droit public, HDR, Faculté de droit et de science politique de l’Université de Montpellier La controverse autour du recours à l’article 11 ou à l’article 89 pour réviser la Constitution de 1958 est bien connue des constitutionnalistes. La différence entre ces deux dispositions constitutionnelles est pourtant nette, l’article 11 permettant l’organisation d’un référendum législatif – pour faire voter par le peuple une loi ordinaire dans un domaine juridiquement déterminé – alors que l’article 89 peut déboucher sur un référendum constituant – par lequel le souverain valide une loi constitutionnelle – après l’adoption préalable du projet de loi en termes identiques par les deux chambres du Parlement. La discussion porte en réalité sur une distinction établie entre la lettre de la Constitution et sa pratique bien synthétisée notamment, en d...

"L'équipe de Montpellier remporte le concours VEDEL"

Pour la troisième fois, l'équipe de l' Université de Montpellier remporte le concours VEDEL de la meilleure plaidoirie de la QPC (en défense), organisé par Lextenso en partenariat avec le Conseil constitutionnel. Toutes nos félicitations à Christophe Di Vincenzo , Corentin Campos (Master droit et contentieux publics), Emma Teffah, Lorenzo Garcia (Master théorie et pratique du droit constitutionnel), Pierre Pelissier (Master contrats publics et partenariats) ainsi qu'aux autres équipes finalistes du Mans, de Paris 2 Panthéon-Assas et de Bordeaux. Pour cette 11ème édition, le jury était composé des personnalités suivantes : ● Mme. Anne LEVADE, présidente du jury ● M. Michel PINAULT, représentant le Conseil constitutionnel ● Mme. Hélène FARGE, représentant le conseil de l'Ordre des avocats aux Conseil d'État et à la Cour de cassation ● Mme. Maud VIALETTES, représentant le Conseil d'État ● M. Laurent PETTITI, représentant le Conseil national des Barreaux ● M. Ch...

Présentation de l'ouvrage du Professeur Viala « Faut-il abandonner le pouvoir aux savants ? La tentation de l'épistocratie », par Messieurs Mustapha AFROUKH et Pierre-Yves GAHDOUN le jeudi 17 octobre 2024 dans l'amphi 007 de la Faculté de droit de 17h30 à 19h30.

"Faut-il abandonner le pouvoir aux savants ? La tentation de l'épistocratie", Alexandre VIALA , DALLOZ, collection Les sens du droit, 06/2024 - 1ère édition, 218 p. ➤ En partenariat avec la Librairie Juridique , le CERCOP et la Faculté de Droit et de Science politique de Montpellier ont le plaisir de vous annoncer la présentation de l'ouvrage du Professeur Viala « Faut-il abandonner le pouvoir aux savants ? La tentation de l'épistocratie », par Messieurs Mustapha AFROUKH et Pierre-Yves GAHDOUN le jeudi 17 octobre 2024 dans l'amphi 007 de la Faculté de 17h30 à 19h30. Par la suite, une séance de dédicace est prévue au café Jules, rue de l'Université. ➤ Résumé :  L’épistocratie est un mode de gouvernement qui confie le pouvoir aux détenteurs du savoir et défie la ligne de séparation qu’avait tracée Max Weber entre le savant et le politique. D’un usage assez rare, le mot renvoie à un idéal platonicien qui repose sur l’idée qu’en confiant le pouvoir à tous, s...