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"Le 16e gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n’est plus", Mélissandre TALON, doctorante contractuelle à l’Université de Montpellier, CERCOP

"Le 16e gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n’est plus",  

Mélissandre TALON, doctorante contractuelle à l’Université de Montpellier, CERCOP    

    Dans la matinée du mardi 2 février 2021, trois membres de l’exécutif néo-calédonien issus de l’Union Calédonienne (UC), suivis dans l’après-midi de deux membres de l’Union nationale pour l’indépendance (UNI) ont présenté leur démission aux présidents du Congrès et du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

    De fait, le 16e gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n’est plus. En effet, l’article 121 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, dans sa version issue de la loi organique n°2011-870 du 25 juillet 2011, prévoit en son III que « [s]i le nombre de membres du gouvernement à remplacer est égal ou supérieur à la moitié de l'effectif déterminé conformément à l'article 109 ou s'il n'a pas été fait application du présent III dans les dix-huit mois précédents, le gouvernement est démissionnaire de plein droit et il est procédé à l'élection d'un nouveau gouvernement dans un délai de quinze jours. […] Le gouvernement démissionnaire assure l'expédition des affaires courantes jusqu'à l'élection d'un nouveau gouvernement. ». Or, l’article 109 de cette même loi organique dispose que « [l]e nombre des membres du gouvernement, compris entre cinq et onze, est fixé préalablement à son élection par délibération du congrès. » Jusqu’alors, le 16e gouvernement néo-calédonien était composé de 11 membres élus par le Congrès de Nouvelle-Calédonie, respectivement issus de l’Avenir en Confiance (4 membres), de l’UC (3 membres), de l’UNI (2 membres), de Calédonie Ensemble (1 membre) et de l’Éveil Océanien (1 membre). La démission de 5 des 11 membres de l’exécutif néo-calédonien entraine donc de facto la chute du gouvernement.

   La crise institutionnelle qui secoue depuis ce matin la Nouvelle-Calédonie s’inscrit dans un contexte politique, économique et social tendu. La lettre de démission évoque en ce sens la « persistance des difficultés économiques et sociales accumulées depuis de longues années », « l’incertitude sur l’avenir institutionnel du pays accentuée par l’absence d’un dialogue constructif avec l’État en prévision de la prochaine consultation », ou encore le « secteur du nickel ». Il faut dire que, depuis la proclamation des résultats du deuxième référendum d’auto-détermination du 4 octobre 2020 (53,26 % « NON », 46,74 % « OUI »), les partis politiques néo-calédoniens, et notamment indépendantistes, sont entrés dans une phase active de concertation avec le Gouvernement français au sujet de l’avenir institutionnel du pays et de l’organisation d’une troisième consultation. L’Accord de Nouméa du 5 mai 1998 prévoit en ce sens qu’à l’issue du deuxième référendum, « [s]i la réponse est à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra être organisée selon la même procédure et dans les mêmes délais. Si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. » Un troisième — et peut être ultime — référendum d’auto-détermination devrait donc très probablement voir le jour en 2022.

  Cette phase de négociation, qui s’est notamment concrétisée avec le déplacement du Ministre des Outre-mer en Nouvelle-Calédonie suite à la proclamation des résultats de la consultation, a depuis lors été complexifiée par de vives et violentes tensions sociales autour de la question de la vente de l’une des principales usines de nickel du pays par son actionnaire majoritaire, le groupe Vale NC[1]. Les enjeux économiques mais également politiques qui lient l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et l’avenir de l’Usine du Sud n’ont pas manqué d’être rappelés par le Ministre des Outre-mer. À l’occasion d’un discours adressé aux néo-calédoniens le 11 janvier dernier, M. Sébastien Lecornu énonçait très clairement que « [s]i la Nouvelle-Calédonie devient indépendante, la France se désengagera de l’usine du Sud »[2]. Or, eu égard au poids que représente la filière du nickel dans l’économie calédonienne, cette affirmation vaut son pesant d’or dans la balance des arguments en faveur ou contre l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. À travers la parole du ministre, l’État semble jouer l’une de ses meilleures cartes en frôlant de près son obligation de neutralité vis-à-vis du processus de décolonisation et d’auto-détermination à l’œuvre.

    Un nouveau gouvernement devrait donc être désigné par le Congrès dans les 15 jours à venir. Le dispositif prévu par l’article 121 sera alors mis à l’épreuve. Celui-ci avait en effet été modifié par la loi organique n°2011-870 du 25 juillet 2011 en raison des abus résultant de l’utilisation excessive de la démission de plein droit, qui avait conduit à la formation de quatre gouvernements néo-calédoniens successifs entre février et juin 2011. En vue de limiter l’instabilité gouvernementale, l’article 121 fixe désormais un délai de carence de 18 mois pendant lesquels le gouvernement ne peut plus être démissionnaire de plein droit lorsque plus de la moitié de son effectif reste pourvu, et prévoit une faculté de désignation complémentaire au profit du groupe démissionnaire. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs validé ce dispositif, sous réserve que la désignation complémentaire ne puisse opérer qu’à l’égard des personnes ayant été initialement désignées par le Congrès pour siéger à l’organe exécutif[3].

    La nouvelle composition du gouvernement à venir pourrait bien marquer un tournant majeur dans la crise politique et économique que connaît actuellement la Nouvelle-Calédonie. Rendez-vous, donc, dans 15 jours.


[1] P. Roger, C. Wéry, « En Nouvelle-Calédonie, la filière nickel aux abois », Le Monde, 21 janvier 2021.

[2] « Vœux de Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer, aux Calédoniennes et aux Calédoniens », 11 janvier 2021 [https://outre-mer.gouv.fr/voeux-de-sebastien-lecornu-ministre-des-outre-mer-aux-caledoniennes-et-aux-caledoniens]

[3] Cons. const. 2011-633 DC du 12 juillet 2011, Loi organique modifiant l'article 121 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, cons. 5.







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