"Actualité démocratique au Bénin et au Tchad", Yann GBOHIGNON DOUÉ et Hodabalo TCHILABALO, doctorants au CERCOP
"Actualité démocratique au Bénin et au Tchad",
Yann GBOHIGNON DOUÉ et Hodabalo TCHILABALO,
doctorants au CERCOP
Le 11 avril dernier se
sont tenues les élections présidentielles au Bénin et au Tchad. Concordance de
calendrier mais aussi concordance de résultats dans la mesure où ces deux États,
qui ont suivi une trajectoire démocratique totalement opposée, se retrouvent à
côtoyer les bas-fonds de l’idéal démocratique. D’une part le Bénin, exemple
d’une démocratie constitutionnelle stable, enregistre un recul significatif ;
d’autre part le Tchad, contre-modèle
démocratique dont la mort récente du Président Idriss Déby a remis au goût du
jour des réflexes archaïques d’une démocratie balbutiante.
Des modèles très différents de culture démocratique
Longtemps considéré
comme « l’enfant malade de l’Afrique » en raison de son
instabilité politique chronique, le Bénin a, depuis la brillante expérience de
la Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation (CNFVN), connu une
période encourageante de progrès et de stabilité politique et
constitutionnelle. Ce renouveau démocratique bien que mis à mal après l’élection
présidentielle de 2016 s’est manifesté de deux manières.
Contrairement aux deux derniers scrutins législatifs et présidentiel qui
se sont respectivement tenus en 2019 et 2021, les précédentes élections
béninoises étaient très rarement émaillées de tensions ou de violences. Les
résultats encourageants de la Conférence Nationale de 1990 ont créé une coutume
d’élections présidentielles calmes dont celle de 2016 au cours de laquelle le
Président sortant Boni Yayi a, conformément à la Constitution béninoise,
renoncé à un troisième mandat favorisant le bon déroulement du scrutin. Le Bénin
témoigne donc d’un exemple d’élections apaisées mais aussi d’alternances
politiques fréquentes.
Le second élément témoignant de l’assise démocratique au Bénin est sa stabilité constitutionnelle. La Constitution de 1990 n’avait jusqu’en 2019 fait l’objet d’aucune révision. Dans un contexte ouest-africain où « les révisions constitutionnelles se font à un rythme frénétique »[1], la pérennité constitutionnelle a été assurée par sa rigidité formelle (voir articles 154, 155 et 156) et par un juge constitutionnel soucieux du respect des règles de forme et de fond garanties par la Constitution.
À l’inverse du cas
béninois, le constitutionnalisme tchadien n’a pas permis la concrétisation de
l’idéal démocratique. Ceci relève du paradoxe.
En effet, après la troisième vague de démocratisation qui a touché
l’Afrique subsaharienne, mettant fin au parti État, aucun texte fondamental au
Tchad n’a mis les mécanismes démocratiques en sourdine. Ainsi, le Tchad est-il
une « République souveraine … fondée sur les principes de la
démocratie »[2], reconnaissant les
partis et groupements politiques[3] et protégeant le
pluralisme politique qui est un principe constitutionnel intangible dans les
constitutions post-transition[4].
Malgré une telle inscription de la démocratie dans le marbre
constitutionnel, le Tchad est resté un État démocratiquement défaillant, avec
une absence absolue d’alternance politique depuis 1990. Cette érosion
démocratique est pour l’essentiel due à la profanation du procédé électoral pourtant « fondement
démocratique de la légitimité »[5].
Cette profanation, dans le cas concret du Tchad en particulier et de
l’Afrique noire francophone en général, passe par le détournement des
instruments juridiques. Révisions constitutionnelles et législation électorale
auront donc pour but de lever les obstacles empêchant l’accaparement du
pouvoir. Ainsi la révision de la Constitution de 1996 en 2005 a-t-elle supprimé
la limitation du nombre de mandats. Il peut s’agir d’écarter certains opposants
de la course électorale, comme l’a illustré l’adoption d’une nouvelle
constitution en 2018 avec l’augmentation de l’âge d’éligibilité de 35 à 45 ans,
ce qui a empêché la candidature de
Succès Masra aux dernières présidentielles. Bref, le détournement des instruments
juridiques[6] combiné à « la
militarisation de la vie politique »[7] a conduit à une
carence démocratique au Tchad.
Un recul démocratique similaire
Le recul démocratique que connaît le Bénin est d’autant plus marquant qu’il présente certaines similitudes avec le Tchad même si ce dernier garde ses spécificités.
Au Bénin, l’arrivée du
Président Talon a sonné le glas des bonnes pratiques de la démocratie
constitutionnelle après deux tentatives infructueuses de réviser la
Constitution. Pour contourner un Parlement jouant son rôle de contre-pouvoir,
des réformes ont été entreprises.
Cela a commencé par la réforme du Code électoral dont les mesures
majeures concernaient une augmentation importante de la caution des candidats
qui est passée de 8,3 millions de FCFA (13.000 euros) à 249 millions (380.000
euros) ainsi que la mise en place d’un seuil électoral
de 10% au niveau national. Ces réformes en prélude des législatives ont d’ailleurs
été validées par la Cour constitutionnelle qui, quant à elle, impose un « certificat
de conformité » nécessaire à tous les partis souhaitant participer aux
législatives. Évidemment, ce certificat ne sera obtenu que par des partis
affiliés au pouvoir en place si bien qu’au sortir des législatives, le
Parlement béninois est totalement acquis à la cause du Président. Rien ne
pouvait désormais s’opposer à la révision constitutionnelle qu’il avait tant
espérée dont l’une des grandes innovations est l’instauration d’un parrainage
des candidats uniquement par des députés et des maires.
L’espoir aurait pu reposer sur une Cour constitutionnelle qui, depuis 1990, s’était distinguée par son impartialité et ses décisions audacieuses. Toutefois, lors de l’examen de cette loi de révision constitutionnelle, la Cour a certes procédé à un contrôle de fond et de forme mais a pris le soin d’écarter des principes constitutionnels qu’elle a elle-même ajoutés à ceux prévus par la Constitution. En effet, depuis 2006, la Cour a précisé « que même si la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un État de droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990, notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle »[8]. Ce considérant faisant du « consensus national » un principe primordial pour toute révision est d’autant plus important que la Cour l'a régulièrement rappelé depuis 2006[9]. Or, en l’espèce ce n’était pas le cas. La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples n’a pas manqué de le relever dans sa décision Houngue dans laquelle elle notait qu’une loi, même adoptée à l’unanimité, « ne saurait occulter la nécessité du consensus national […] commandé par les idéaux qui ont prévalu à l’adoption de la constitution du 11 décembre 1990 »[10]. La décision de la Cour rendue seulement par quatre membres ainsi que sa présidence assurée par M. Joseph Djogbénou, ancien avocat du Président actuel Patrice Talon, pourraient expliquer une telle position étrange et constitutionnellement douteuse.
Faut-il parler d’un
recul démocratique au Tchad ? Rien ne justifie l’affirmative à cette question,
d’autant que la démocratie y a toujours été mise à mal. Même si le Bénin a
récemment rejoint le Tchad dans le détournement des moyens juridiques, ce
dernier se distingue nettement par le degré de dégradation de la santé
démocratique.
L’autre élément de différenciation reste la culture constitutionnelle.
Fortement ancrée au Bénin, tel qu’exposée ci-dessus, elle est quasi nulle au
Tchad, où la Constitution est reléguée au rang des instruments au service du pouvoir.
Elle ne bénéficie d’aucune sacralité dans un système où le pouvoir politique
est complètement inféodé à la force militaire. D’ailleurs, le défunt Président
se considérant toujours comme militaire aurait trouvé la mort sur le champ de
bataille. Ce qui pourrait expliquer le coup d’État constitutionnel à sa mort
alors que la Constitution organisait clairement la vacance du pouvoir dans de
telles circonstances. Quoi qu’il en soit, la Constitution ne résiste pas, au
Tchad, aux assauts du pouvoir de révision encore moins à la force militaire.
Au total, la comparaison de ces deux États permet de tirer plusieurs enseignements. Le premier, c’est que la démocratie africaine n’est pas uniforme. Elle peut être décomposée en plusieurs modèles en se basant sur le niveau de maturité démocratique. Deuxièmement, il faut constater que malgré une telle diversité, les dangers qui pèsent sur cette démocratie sont similaires. Enfin, bien que les dangers soient comparables, leurs effets prennent des dimensions différentes en fonction du niveau de la culture constitutionnelle. D’où il est pertinent de rappeler le lien entre constitutionnalisme et démocratie.
[1] Mouhamadou Ndiaye, « La stabilité constitutionnelle,
nouveau défi démocratique du juge africain » Annuaire
international de justice constitutionnelle, 2018, vol. 33, no 2017,
p. 667-688.
[2] Art 1 al.1 des constitutions de
1996 et 2018.
[3] Art. 4 desdites constitutions.
[4] Art 225 al.5 de la Constitution
de 1996 et art.227 al. 5 de la Constitution de 2018.
[5] Stéphane Bolle « Les
juridictions constitutionnelles africaines et les crises électorales », in
Actes du 5e congrès. Les Cours constitutionnelles et les
crises, ACCF, 2009, p.80, cit. D. Rousseau, La
justice constitutionnelle en Europe, Paris,
Montchrestien, 1993, pp. 122-123.
[6] Constitution, lois, réglementation,
justice constitutionnelle…
[7] C’est le motif du retrait de la
candidature, lors des élections de 2021, du principal opposant.
[8]
Cour constitutionnelle du Bénin, DCC
06-074 du 8 juillet 2006.
[9]
Voir entre autres les décisions de la
Cour constitutionnelle du Bénin DCC 10-049 du 5 avril 2010 et DCC
10-117 du 08 septembre 2010.
[10]
Cour Africaine des Droits de l’Homme et
des Peuples, Arrêt du 04 décembre 2020, Houngue Éric Noudehouenou c. République
du Bénin, Requête N°003/2020, §65 (https://fr.african-court.org/images/Cases/Judgment/003-2020-houngue-eric-noudehuenou-c-benin-arret.pdf)
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