« Élisez-moi premier ministre ! », Quand Jean-Luc Mélenchon réinvente la Constitution, Eric SALES, Maître de conférences de droit public, HDR, Faculté de droit et de science politique de l'Université de Montpellier, CERCOP
« Élisez-moi premier ministre ! »
Quand Jean-Luc Mélenchon réinvente la Constitution.
Eric SALES,
Maître de conférences de droit public, HDR, Faculté de droit et de science politique de l'Université de Montpellier, CERCOP
Dans son appel du 19 avril 2022, Jean-Luc Mélenchon a demandé aux citoyens français de « l’élire premier ministre ». Il le réitèrera le 24 avril 2022, sur son fil twitter, juste après l’annonce de la réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République : « Les 12 et 19 juin, un autre monde est toujours possible avec les élections législatives. Vous pouvez le montrer en élisant une majorité de députés insoumis et en m'élisant Premier ministre ». Ses ambitions politiques se déplacent donc de l’Elysée à Matignon.
La formule est intéressante. Juridiquement fausse, elle demeure politiquement percutante ! Sur le terrain du droit constitutionnel, chacun sait – Jean-Luc Mélenchon le premier – que le premier ministre est nommé par le Président de la République en vertu de son pouvoir propre et en observation de l’article 8 de la Constitution. En période de concordance des majorités, le chef de l’Etat reste donc le seul à décider en la matière en faisant porter son choix la plupart du temps sur un fidèle ou – selon les moments – sur un technicien discret qui, dans tous les cas, aura en charge – contre la lettre de l’article 20 de la Constitution – la concrétisation de la politique présidentielle de la Nation en étant, dans les faits, politiquement responsable devant le Président. Le premier ministre reste donc l’homme du Président de la République. Ce dernier lui donne souvent son existence politique en attendant, en retour, confiance et loyauté.
Il n’y a bien entendu rien de tout cela dans la formule employée par Jean-Luc Mélenchon qui, en réalité, en appelle directement à la cohabitation[1]. Dans ce cas de figure, déjà éprouvé trois fois sous la Vème République – entre 1986 et 1988, entre 1993 et 1995 et pour la dernière entre 1997 et 2002 – le premier ministre n’est effectivement plus l’homme du Président. Il le nomme toujours mais il ne le choisit plus car il est, dans les faits, contraint de désigner le leader de la formation politique qui a gagné les élections législatives. En outre, le premier ministre de cohabitation – conformément à l’article 20 de la Constitution – détermine et conduit la politique de la nation sans pouvoir faire l’objet d’une quelconque révocation présidentielle. En d’autres termes, il gouverne véritablement alors que le Président – politiquement affaibli – retrouve un rôle d’arbitre institutionnel en perdant celui de capitaine. Enfin, le premier ministre de cohabitation compose directement son gouvernement en proposant au chef de l’Etat d’entériner ses choix.
Or, depuis la réforme du quinquennat votée en 2000, le mandat présidentiel est aligné sur celui des députés et, depuis l’inversion du calendrier électoral décidé en 2001, les élections législatives suivent les élections présidentielles en conduisant les citoyens à donner au Président une majorité à l’Assemblée nationale pour lui permettre de gouverner. Dans ce schéma, en dehors du décès du Président en exercice ou d’une dissolution malheureuse, les hypothèses de survenance d’une cohabitation sont devenues très rares. Il reste toutefois celle imaginée par Jean-Luc Mélenchon. Celle d’un peuple qui, après avoir élu son Président, décide de le priver immédiatement de la possibilité de gouverner. Celle d’un peuple qui opterait pour une lecture parlementaire et primo-ministérielle de nos institutions. Celle d’un peuple qui affirmerait haut et fort son refus de l’hyperprésidentialisation du régime. Celle d’un peuple qui déciderait d’imposer au Président de la République comme premier ministre le candidat éliminé du premier tour de l’élection présidentielle et classé troisième. Bref, celle d’un peuple qui laisserait gouverner celui qui aurait été à tort éliminé en écartant celui qui aurait été « mal élu »[2].
Le rêve est à la portée de tout le monde et il est vrai que la cohabitation a toujours résulté d’un choix du peuple en 1986, en 1993 ou encore en 1997. Dans ce dernier exemple, c’est bien le grand perdant des élections présidentielles de 1995 – Lionel Jospin – qui, en gagnant les élections législatives anticipées après la maladroite dissolution de Jacques Chirac, a gouverné la France pendant cinq ans. Toutefois, pour que le rêve devienne réalité encore faut-il, pour Jean-Luc Mélenchon, réussir son union populaire et convaincre les citoyens. Il lui reste moins de deux mois pour ce faire. Sauf à imaginer – autre cas de figure déjà évoqué récemment[3] – une dissolution prononcée par le Président fraîchement réélu pour lui permettre de bénéficier le plus rapidement possible de l’effet d’entraînement des résultats des élections présidentielles sur les élections législatives. Cette solution permettrait sans doute d’éviter « l’élection de Jean-Luc Mélenchon comme premier ministre ». Il n’est toutefois pas certain qu’une telle dissolution soit bien comprise !
[1] L’idée n’est cependant pas nouvelle car, après avoir perdu les élections présidentielles de 2012, la droite était favorable à la mise en place d’une cohabitation. Il s’agissait d’ailleurs d’un argument récurrent de la campagne des législatives car le parti socialiste détenait la présidence, le gouvernement, le Sénat et une grande partie des régions.
[2] Expression utilisée par Jean-Luc Mélenchon lui-même le soir du 24 avril.
[3] V. Nathalie Segaunes, “La tentation de la dissolution”, l’Opinion, 18 novembre 2021, https://www.lopinion.fr/politique/la-tentation-de-la-dissolution. V. également Claire Gatinois, “Election présidentielle 2022 : dissoudre l’Assemblée nationale pour accélérer le calendrier, un scénario risqué”, Le Monde 18 mars 2022, https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/03/18/election-presidentielle-2022-dissoudre-l-assemblee-nationale-pour-accelerer-le-calendrier-un-scenario-risque_6118095_823448.html
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