Accéder au contenu principal

Et si la prochaine élection présidentielle avait lieu dans le métaverse ?, Coralie RICHAUD, Maître de conférences en droit public à l’Université de Limoges.














Et si la prochaine élection présidentielle avait lieu dans le métaverse ?,

Coralie RICHAUD, 

Maître de conférences en droit public à l’Université de Limoges.

Tout le monde ou presque semble déjà « être » dans le Métaverse. Des acteurs de la grande distribution comme Carrefour y ayant déjà acheté un terrain[1], aux grandes marques de prêt-à-porter comme Nike y ayant déjà commercialisé leurs premières méta-chaussures[2], tout le monde ou presque est dans le métaverse. Contraction des termes « méta » et « universe », le métaverse est d’abord apparu sous la plume de Neal Stephenson dans son roman publié en 1992 « Le samouraï virtuel ». Cet espace virtuel, que le PDG du groupe Méta présente comme « le futur d’Internet »[3], a vocation à représenter un autre monde. Un monde virtuel et numérique créé à l’aide de diverses technologies comme la réalité virtuelle ou augmentée au sein de laquelle les échanges commerciaux se font au moyen de crypto-monnaies. Assimilable à un jeu vidéo version grandeur nature, le métaverse ambitionne de proposer une vie parallèle à la vie réelle au sein de laquelle chacun pourrait disposer d’un avatar. Ainsi, cet avatar consommerait et détiendrait un certain nombre de méta-objets comme des œuvres artistiques appelées des NFT (non fungible token) ou encore des « métas Birkin » à l’image de ceux de la célèbre maison Hermès par exemple. Autrement dit, une vie numérique aux modes de consommation très proches de ceux que nous connaissons dans la sphère réelle.

Et si le mimétisme dans le métaverse allait plus loin ? Et si nos avatars devaient un jour désigner leurs représentants ? Cette question peut sembler être à mi-chemin de la science-fiction pourtant elle repose sur une intention affichée dès la création d’Internet. Le cyberespace a très tôt été perçu comme l’espace, la dimension d’une nouvelle forme d’organisation de la société. Cela n’est pas sans rappeler la déclaration d’indépendance du cyberespace rédigée par John Perry Barlow, qui affirmait déjà en 1995 « vous n’avez pas de souveraineté où nous nous rassemblons ». Et l’auteur de poursuivre : « nous n’avons pas de gouvernement élu, et il est improbable que nous en ayons un jour »[4]. L’ADN de la construction de la sphère numérique demeure éminemment contestataire mais repose surtout sur le postulat selon lequel ce nouvel espace serait autonome de celui de la sphère réelle. Et cette autonomie pourrait bien se traduire par la désignation d’autres représentants que ceux que nous désignons dans la vie réelle.

Le numérique reproduit certains « codes » de l’architecture étatique. Si l’on pouvait penser que le numérique aurait vocation à lutter contre l’apparition du phénomène étatique en tant que forme institutionnalisée du pouvoir à l’instar de l’approche anthropologique de l’État formulée par Pierre Clastres[5], les évolutions récentes laissent planer le doute. L’architecture institutionnalisée du numérique, et a fortiori du métaverse, se traduit de manière monétaire avec les crypto-monnaies ou encore de manière juridictionnelle avec la création de juridictions ad hoc comme le conseil de surveillance chez Méta. Par conséquent, il n’est pas inenvisageable que ce mimétisme se traduise également par la désignation de représentants.

A la grande différence près que l’élection ne serait peut-être pas le mode de désignation des représentants dans le métaverse. En cause, ces nouvelles plateformes de résolution des conflits, comme Kléros par exemple, qui reposent sur une résolution décentralisée des conflits fondée sur la théorie du jeu. Concrètement, toute personne peut être juré dans ce tribunal virtuel et c’est le principe de la théorie des jeux « qui va permettre de s’assurer que les jurés votent pour la décision cohérente ». Autrement dit, la résolution des conflits ne repose pas sur les principes généraux du procès mais sur un principe de solidarité des jurés et donc de cohérence supposée de la décision rendue. En promettant la justice et la transparence des décisions, ces plateformes pourraient également proposer des remèdes au désamour de la démocratie représentative. En promettant une « vraie » représentation des représentés dans le métaverse fondée sur la théorie des jeux, la désignation des représentants serait fondée sur la moins mauvaise des décisions. Autrement dit, cette méthode de désignation reposerait sur le pari que les représentés n’adoptent pas un comportement de « free rider » au sens de Mancur Olson[6] mais désignent solidairement le représentant qui a le plus de chance de présenter un avantage pour tous. Dans ce mode de désignation, les représentés ne voteraient plus mais accorderaient collectivement leur confiance à un tiers qui représenterait le plus petit dénominateur commun des intérêts de tous. En somme, une version virtuelle des listes de confiance déjà connues sous le régime Bonapartiste…

[1] https://www.challenges.fr/entreprise/grande-conso/carrefour-investit-dans-le-metavers-en-rejoignant-l-univers-the-sandbox_798863


[2] https://www.lesechos.fr/start-up/deals/metavers-nike-rachete-une-marque-de-mode-digitale-basee-sur-des-nft-1372257


[3] https://www.francetvinfo.fr/economie/bitcoin/on-vous-explique-ce-qu-est-le-metavers-l-internet-du-futur-qui-fait-rever-la-tech_4757523.html


[4] J.-P. Barlow, Déclaration d’indépendance du Cyberespace, février 1996, consultable sur le site www.eff.org


[5] Pierre Clastres, La Société contre l’État. Recherches d’anthropologie politique, Les éditions de minuit, 1974.


[6] Mancur Olson, Logique de l'action collective. Préface de Raymond Boudon. Traduit de l'américain par Mario Levi, Paris,Presses Universitaires de France, 1978

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Dissoudre un parti politique en Conseil des ministres ? Interrogations autour de la dissolution de civitas, Augustin BERTHOUT, doctorant à l’Université de Montpellier, CERCOP, JP blog, le blog de Jus Politicum, 21 octobre 2023

Dissoudre un parti politique en Conseil des ministres ?  Interrogations autour de la dissolution de civitas,  Augustin BERTHOUT ,  doctorant à l’Université de Montpellier, CERCOP,  JP blog, le blog de Jus Politicum,   21 octobre 2023 ➤ Décidée en Conseil des ministres le 4 octobre 2023, la dissolution de Civitas s’inscrit dans une liste déjà longue d’organisations politiques dissoutes durant les quinquennats d’Emmanuel Macron. Cependant, elle s’en distingue en ce qu’elle vise pour la première fois depuis 1987 une association constituée en parti politique. Elle offre ainsi l’occasion de questionner la conformité de la dissolution administrative des partis politiques tant au regard de la Convention européenne des droits de l’homme qu’au regard de la Constitution elle-même. ➤ Lien vers JP blog : https://blog.juspoliticum.com/2023/10/21/dissoudre-un-parti-politique-en-conseil-des-ministres-interrogations-autour-de-la-dissolution-de-civitas-par-augustin-berthout/

Les docteurs du CERCOP recrutés Maîtres de conférences de droit public en 2023

Toute l'équipe du CERCOP adresse ses chaleureuses félicitations aux 4 docteurs recrutés  Maîtres de conférences de droit public en 2023  : Z. Brémond, G. Herzog, E. Kohlhauer et F. Youta. - M. Zérah Brémond a été recruté comme Maître de conférences de droit public à la Faculté de droit de l'Université de Pau. Il est l'auteur d'une thèse sur Le territoire autochtone dans l'Etat postcolonial, étude comparée des colonisations britannique et hispanique, réalisée sous la direction du professeur Jordane Arlettaz et soutenue devant un jury composé des professeurs Norbert Rouland, Laurence Burgorgue-Larsen, Albane Geslin, Carine Jallamion et Jordane Arlettaz. Résumé de la thèse : Partant de la comparaison des États issus des colonisations britannique (États-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande) et hispanique (Amérique latine), cette thèse a pour ambition d’appréhender la manière dont les États issus de la colonisation ont pu faire face à la question autochtone au r

Droit constitutionnel et administratif, entre unité et spécificités, sous la direction de Julien BONNET, Xavier DUPRE DE BOULOIS, Pascale IDOUX, Xavier PHILIPPE et Marion UBAUD-BERGERON, Mare & Martin, 31 août 2023, 310 p.

➤ A découvrir chez Mare & Martin : Droit constitutionnel et administratif, entre unité et spécificités, sous la direction de Julien BONNET, Xavier DUPRE DE BOULOIS, Pascale IDOUX, Xavier PHILIPPE et Marion UBAUD-BERGERON, Mare & Martin, 31 août 2023, 310 p. ➤ Résumé : Depuis 1958, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont en charge d’assurer le respect de la Constitution par les différentes autorités politiques et administratives françaises. Leur cohabitation n’a pas été sans susciter des frictions. La création de la question prioritaire de constitutionnalité par la révision constitutionnelle de 2008 a contribué à renouveler les termes du débat. Le présent ouvrage, publié à l’initiative de laboratoires de recherche de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de l’université de Montpellier, entend rendre compte et analyser les nouveaux enjeux de cette cohabitation. Une trentaine d’enseignants-chercheurs se sont ainsi attachés à l’étude critique des jurisprudences res