"Camus et la juste mesure",
Dominique ROUSSEAU, Professeur émérite, Paris I Panthéon Sorbonne
« Aucune œuvre n’a été fondée sur la haine et le mépris » a déclaré Albert Camus lors de son discours de réception du prix Nobel de littérature en 1957. Ces paroles, comme beaucoup d’autres de l’auteur de l’Homme révolté, résonnent particulièrement aujourd’hui où haine et mépris ont pris possession des rues, des murs, des esprits et des corps. La conflictualité est la caractéristique de toute société ; et par ricochet elle est au cœur de l’activité du juriste. Le droit de la famille avec les conflits provoqués par les séparations, les décès, les naissances ; le droit du travail avec les conflits entre patrons et salariés mais aussi entre grands et petits patrons, entre salariés du privé et salariés du public ; le droit commercial avec les conflits entre distributeurs et agriculteurs, entre consommateurs et grandes surfaces ; le droit constitutionnel avec les conflits entre l’Assemblée nationale et le Sénat, entre le Parlement et les juges, entre le président de la République et le premier ministre ; …
La question politique n’est donc pas celle de la conflictualité mais du mode par lequel une société se saisit de cette conflictualité qui lui est inhérente. Le mode autoritaire : empêcher l’expression des conflits en faisant taire ceux qui les montrent. Le mode démocratique : donner un espace pour l’expression des conflits. Le premier repose sur l’idée que l’une des parties au conflit détient la vérité, que l’autre est dans l’erreur, qu’elle est un ennemi de la vérité et qu’elle doit donc au mieux être rééduquée au pire supprimée. Le mode démocratique implique de reconnaître qu’il y a de la raison dans les positions de chaque partie en conflit, qu’elles sont adversaires et non pas ennemies et qu’elles peuvent donc trouver des réponses politiques raisonnables. « A hauteur d’homme », comme disait Camus, car la conflictualité n’est pas seulement inhérente aux sociétés elle est aussi constitutive de chaque homme. Il existe une expression pour dire cette conflictualité existentielle : le cas de conscience. C’est-à-dire, cette situation où un homme se trouve partagé entre deux ou plusieurs « vérités » possibles, où il est en conflit avec lui-même et doit trouver des arrangements pratiques pour vivre.
La haine et le mépris n’ouvrent pas la voie aux « arrangements pratiques » mais au dérangement généralisé des sociétés et, au bout de la route, au populisme. Comme le dit le langage populaire « le mieux est l’ennemi du bien ». Et Pierre Dac ajoutait « le pire est l’ami des excès » !
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