"Le « collectif citoyen » : un vaccin contre la démocratie ?", Marine HAULBERT, Maître de conférences de droit public, Université Grenoble Alpes, Centre de Recherches Juridiques
"Le « collectif citoyen » : un vaccin contre la démocratie ?",
Marine HAULBERT, Maître de conférences de droit public, Université Grenoble Alpes, Centre de Recherches Juridiques
Associer plus largement la population à la politique vaccinale : telle était la volonté affichée par Emmanuel Macron dans son discours du 24 novembre dernier. Vœu qui s’est finalement traduit par la création d’un « collectif de citoyens » dont les 35 membres – dont 5 suppléants – devaient être désignés ce lundi 4 janvier.
L’idée n’est pas nouvelle. Elle
ressemble même furieusement à la démarche adoptée pour la fameuse « Convention citoyenne pour le climat »,
dont chacun connaît le funeste destin. La démarche ? Dissoudre les
oppositions dans un bain de démocratie participative. Voilà qui semble être la
nouvelle formule magique brandie par le Président de la République pour faire
s’évanouir toute velléité de contradiction en ces temps de « gestion de crise ». A défaut de
vacciner la population contre la Covid-19, l’exécutif semble vouloir la
prémunir contre le virus du doute.
Il n’est pourtant pas certain que cette ambition soit satisfaite, au regard des modalités de sa mise en œuvre. Ce « collectif citoyen », dont l’existence est unanimement critiquée, s’inscrira très probablement dans la longue liste des projets mort-nés. En cause ? Une définition évasive, des contours flous, une mission introuvable, des pouvoirs inexistants, une légitimité factice… En somme, nous voilà face à un véritable « Frankenstein » du renouveau démocratique.
Une composition en trompe-l’œil
Ce qui frappe en premier lieu,
c’est la composition du collectif, dont les membres sont désignés par un
« prestataire spécialisé » sous l’égide du Conseil économique,
social et environnemental (Cese). En effet, ce dernier a précisé, dans un
communiqué de presse publié le 21 décembre, qu’il s’agirait d’« un
collectif de 30 citoyens tirés au sort, dont la composition a vocation à être
la plus représentative possible de la société française ».
Curieusement, nul ne s’est
vraiment interrogé sur le paradoxe inhérent à cette formulation, qui implique
de concilier le tirage au sort – c’est-à-dire le hasard – avec l’exigence
d’un certain mimétisme – et donc la nécessité de caractéristiques
communes. Il faut mesurer l’abîme qui sépare les deux démarches sur le plan
intellectuel : quand le tirage au sort présuppose l’égalité absolue des
citoyens – chacun étant supposé pouvoir porter la parole du peuple tout entier
– la construction d’un échantillon « représentatif »
met au contraire l’accent sur les fractures qui divisent la population en
diverses catégories – et donc sur les inégalités fondamentales qui la
traversent.
A supposer qu’il soit possible de
ménager la chèvre et le chou, cette exigence de représentativité a-t-elle
vraiment un sens ? Les
statisticiens le savent bien : « un échantillon n’est jamais
représentatif “en soi“ ; il est toujours représentatif par rapport à
certaines variables ». Or, les critères retenus par le Cese – l’âge,
le genre, la région d’origine, le niveau de diplôme, la catégorie
socio-professionnelle, le type d’habitation – sont pratiquement impossibles à
reproduire dans un groupe si réduit. Peut-on imaginer trouver, parmi les 35
membres du collectif citoyen, les 1,5% de commerçants qui composent la société
française ? Il faudrait pour cela que l’un d’entre eux se dédouble – ou
qu’il exerce une autre profession en parallèle. Pourtant, personne ne songerait
à affirmer qu’ils ne sont pas concernés par la politique vaccinale, puisque
leur activité est pleinement et directement impactée par la pandémie !
Surtout, ces critères ne disent
rien sur l’idée qu’un individu pourra se faire du vaccin. Ou plutôt, ils en
disent trop. Car s’ils sont utiles, c’est pour préjuger de l’opinion
qu’il s’en fera. Et c’est évidemment là que le bât blesse. S’il s’agit de
sélectionner des individus dont on connaît déjà l’opinion, en quoi est-ce utile
de leur demander leur avis ?
Pour ceux qui douteraient encore,
le JDD
a précisé que les membres potentiels du collectif devraient répondre à la question :
« Avez-vous l’intention de vous faire vacciner dans l’année 2021 contre
le Covid-19 ? » en classant leur réponse sur une échelle de 1 à
5. Celle-ci conditionne donc leur intégration au collectif citoyen, qui doit
refléter la diversité des avis exprimés par les français à ce sujet. Or,
comment ces opinions sont-elles connues ? Par le biais de sondages,
réalisés par le même « prestataire
spécialisé » en interrogeant un échantillon tout aussi « représentatif » que le collectif
citoyen – à ceci près qu’il rassemble généralement… plus de 1000
personnes !
Voilà qui laisse entrevoir l’utilité du dispositif.
Une fonction bancale
Difficile d’esquisser les
contours de la fonction dévolue au collectif citoyen. A lire le communiqué de
presse diffusé par le Cese, il doit formuler des « questionnements »,
mais aussi des « craintes, résistances ou questions liées aux enjeux
éthiques de la campagne nationale de vaccination ». Il pourra
également produire des « observations » et « sera
invité à s’exprimer sur les choix de politique vaccinale et l’organisation de
celle-ci ».
Pour un juriste, le choix des
mots est assez déroutant : on ne trouve ici aucun des termes qui
permettent habituellement de décrire l’action d’une institution – et donc
d’identifier son rôle. De fait, la fonction attribuée au collectif est vague,
inconsistante, évanescente. Ce n’est pas un hasard.
Les citoyens désignés n’ont aucun
pouvoir décisionnel – ni même un rôle consultatif. Ils ont pour seule vocation
de traduire les hésitations de l’opinion – sans pouvoir être force de
proposition, ni, a fortiori, organe de décision. Sur ce point,
l’exécutif s’est bien gardé de reproduire l’erreur faite avec la Convention
citoyenne pour le climat. Il ne pourra pas se voir reprocher de n’avoir pas tenu
compte des propositions faites par le collectif, puisque celui-ci n’est pas
invité à donner son avis !
Le Professeur Alain Fischer, qui
préside le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, l’a
clairement énoncé : « c’est le Gouvernement qui décide ».
Il ne s’agit pas « de savoir si les citoyens sont pour ou contre le
vaccin » a renchéri
le Président du Cese ; il faut seulement « que les gens comprennent
pourquoi certaines décisions sont prises, de façon à rétablir la confiance »
indiquait
Jean-François Delfraissy dans une interview au Monde publiée le 20
novembre 2020 – quelques jours avant qu’Emmanuel Macron n’officialise la
création du collectif. En somme, cet organe n’est rien d’autre que la
personnification du peuple sceptique – qui devra se laisser convaincre de
l’opportunité de la politique vaccinale, si possible avant l’été.
C’est d’autant plus dommageable
que cette instance est de nature à empiéter – ne serait-ce que médiatiquement –
sur la place occupée par d’autres organes chargés d’éclairer ou de contrôler
l’exécutif. Le député Cédric Villani l’a
souligné – non sans ironie – en déclarant : « le rôle de ce
comité ne m’apparaît pas clairement. Je ne sais pas comment il s’articulera
avec ce qui existe déjà ». Il faut dire qu’en la matière, le choix est
pléthorique. Sans compter les parlementaires – dont c’est le « métier »,
comme l’a justement rappelé Jean-François Copé sur BFM TV – le collectif
citoyen devra composer avec une commission temporaire du Cese (qui a déjà
débuté ses travaux), le Conseil scientifique présidé par Jean-François
Delfraissy, le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale (lui-même
composé d’un comité des parties prenantes rassemblant les soignants,
établissements de santé et associations de patients, ainsi que d’un comité
d’élus locaux), sans oublier le Comité consultatif national d’éthique, qui vient
justement de publier un rapport consacré aux Enjeux
éthiques d’une politique vaccinale contre le SARS-Cov-2. Cette
accumulation vertigineuse d’institutions temporaires – parfois consultatives,
rarement décisionnelles, à la légitimité fragile – pose question. Comme si tout
cela ne suffisait pas, le Gouvernement a décidé d’y adjoindre la création d’une
plateforme numérique destinée à recueillir l’avis de l’ensemble des citoyens –
ceux-là mêmes dont le collectif est censé être « représentatif ».
En définitive, il y a fort à
parier que cette instance contribuera à brouiller les termes d’une discussion
déjà nébuleuse. Et pour un résultat que l’on devine insignifiant si l’on garde
en mémoire la Consultation
citoyenne sur la vaccination organisée il y a quelques années par Marisol
Touraine – dont le principal effet fut… l’augmentation de la défiance à l’égard
de la vaccination, passée de 41%
à l’époque à 58% aujourd’hui ! Mais peut-être en est-il de la
parole citoyenne comme du vaccin contre la Covid-19 : une double dose est
nécessaire ?
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