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"L'indépendance de la justice malade de son ministre", Dominique ROUSSEAU, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne


"L'indépendance de la justice malade de son ministre", 

Dominique ROUSSEAU, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

    Avocat, Robert Badinter était contre la peine de mort. Ministre, Robert Badinter a fait voter l’abolition de la peine de mort. Avocat, Eric Dupond-Moretti était contre les peines de sûreté. Ministre, Eric Dupond-Moretti a fait voter la loi établissant les peines de sûreté. Par ce seul geste, il affaiblissait non la magistrature mais le métier d’avocat et la fonction de ministre puisqu’il faisait en live la démonstration que ses convictions ne valent rien contre un maroquin ministériel. Autre temps, autre mœurs…

    Plus grave – si possible ! – le garde des sceaux a le pouvoir d’interférer dans des affaires où, avant sa nomination, il était l’avocat d’une des parties, voire une partie. Concrètement, l’avocat Eric Dupond-Moretti a déposé une plainte pour violation du secret professionnel et atteinte à la vie privée dans l’affaire des écoutes téléphoniques diligentées par le Parquet national financier pour savoir qui avait informé Nicolas Sarkozy qu’il était sur écoute téléphonique dans le cadre d’une affaire sur un possible trafic d’influence. Devenu ministre, il retire sa plainte mais demande à l’inspection générale de la justice de conduire une enquête administrative pouvant déboucher sur une procédure disciplinaire contre… trois magistrats nommément désignés du Parquet national financier. Là encore, d’un seul geste, le ministre de la Justice porte atteinte au principe de la présomption d’innocence et se met objectivement dans une situation d’abus de pouvoir et de conflit d’intérêts.  D’ailleurs, le 6 octobre, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a demandé au ministre de lui expliquer comment il compte éviter ces possibles conflits d’intérêts dans l’exercice de ses fonctions ministérielles.

    L’autorité d’un ministre de la justice sur l’institution judiciaire dépend de ses qualités personnelles d’intégrité et du respect à l’égard des trois acteurs principaux de l’institution : les magistrats, les greffiers et les avocats. Or, aujourd’hui, tout le monde doute et ce doute rend malade la Justice. Et par ricochet rend malade la démocratie. Car la Justice a toujours été un « marqueur » de la démocratie. Les sociétés sont sorties de la barbarie lorsqu’elles ont abandonné le lynchage pour la Justice, institution de la mesure et de l’équilibre parce qu’elle fonctionne sur les principes du contradictoire, de l’impartialité et de l’indépendance. L’indépendance des magistrats comme celle des journalistes n’est pas un privilège corporatiste mais une garantie pour le justiciable que son procès sera conduit en dehors de toute pression. Une société qui voit un ministre de l’intérieur flatter la police et un ministre de la justice dénigrer la magistrature est une société qui va mal.

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